Le sentier commence tout doucement.

La boucle du mont Blanche-Lamontagne est plutôt ambitieuse pour une randonnée en raquettes : il y a d'abord son dénivelé (environ 650 mètres pour atteindre le sommet à 940 mètres d'altitude), puis la distance (environ 17 km). Le défi un peu plus relevé ajoute sans doute au charme de cette randonnée qui n'en manque pourtant pas, tant les paysages magiques se succèdent!

Après un ou deux embranchements pas tout à fait clairs (il faut continuer droit devant), celui-ci est plus évident : cette fois prenez à gauche, en direction de la flèche.

Le lac Bocquet. En arrière-plan, le mont Hog's Back.

Forêt enchantée.

Pause pendant l'ascension.

Par leur faible inclinaison, les trois ou quatre premiers kilomètres ont l'effet d'un long échauffement. Un échauffement opportun, puisque plusieurs segments bien abrupts se succèdent ensuite sur les trois kilomètres qui précèdent le sommet. La poudreuse abondante y est douce pour les yeux mais dure pour les cuisses!

L'atteinte d'une première grande étendue dénudée ne signale pas encore l'arrivée au sommet; l'ascension se poursuivra encore sur près d'un kilomètre. Sur ce segment balayé par un vent extrême, nos pauses sont désormais très écourtées; la température est tout à coup sibérienne!

Sibérie-en-Québec.

Les étendues de poudreuse du mont Hog's Back voisin, sur lesquelles plusieurs skieurs ont laissé des traces ondulées.

Plus nous gagnons en altitude, plus les arbres prennent des allures fantomatiques.

L'atteinte du sommet révèle un splendide plateau peuplé de fantômes!

Le soleil va jusqu'à s'inviter dans le spectacle. Ses rayons nous réchauffent tandis que les fantômes bienveillants nous protègent du vent. Soudainement, nous ne sommes plus du tout en Sibérie et c'est bouche bée que nous prenons tout notre temps pour admirer le paysage.

Les épinettes enneigées donnent vraiment l'impression d'une vaste galerie de personnages mystérieux.

Certains arbres sont presque entièrement disparus sous la neige.

Après le plateau des fantômes, il s'agit de repérer la signalisation du chemin de la descente, sur une autre étendue dénudée. Certains poteaux et cairns se fondent complètement dans le décor, alors il faut bien observer… ou consulter sa carte topographique!

Les ombres des arbres s'allongent déjà et nous amorçons à peine le segment du retour. Elles sont bien courtes, les journées d'hiver!

Nous n'avons rencontré personne sur la montagne, et d'après les conditions de la neige il semble que le segment nord de la boucle soit encore moins fréquenté. Nous apprécions cependant les traces laissées par deux skieurs une ou deux journées plus tôt; grâce à elles, les raquettes s'enfoncent beaucoup moins profondément dans la neige folle.

Que du bonheur!

La boucle permet d'admirer le flanc nord du mont Blanche-Lamontagne.

La rivière Sainte-Anne, près de la tête du sentier du mont Blanche-Lamontagne.

Bis

Après notre premier coup de foudre pour le mont Blanche-Lamontagne, nous y revoici, 11 mois plus tard! L'hiver fut exceptionnellement tardif cette année et la Gaspésie n'avait reçu que de faibles précipitations de neige depuis novembre, jusqu'à ce qu'elle reçoive une bordée d'environ 35 centimètres… deux jours avant notre arrivée. Quelle chance!

La magie de Blanche-Lamontagne opère toujours.

La récente chute de neige a créé des conditions de rêve pour la raquette.

L'ascension est toujours aussi respectable!

Caribous des bois.

À notre arrivée à la couronne dénudée du sommet, trois caribous sont apparus sur notre droite. Malgré le vent particulièrement glacial à cet endroit, nous nous sommes immobilisés, ne voulant surtout pas les déranger.

En effet, si l'espèce est vulnérable partout au Québec, le caribou des bois est particulièrement menacé en Gaspésie, où il ne resterait plus qu'une quarantaine d'individus (contre environ 250 durant les années 1980). La chasse et l'exploitation forestière ont presque achevé le caribou des bois durant le 20e siècle, puis les perturbations de l'habitat causées par l'humain l'ont rendu plus vulnérable face à ses prédateurs, tels le coyote et l'ours noir, qui empruntent les chemins forestiers pour traquer leurs proies plus efficacement sur de vastes territoires.

Même si quelques biologistes se démènent pour tenter de sauver les derniers individus, les mesures prises pour protéger le caribou des bois sont insignifiantes car on ne semble pas s'attaquer au problème principal : la destruction de l'habitat. Encore aujourd'hui, des forêts matures sont abattues dans les réserves fauniques, dont celles des Chic-Chocs et de Matane, les seuls endroits au sud du Saint-Laurent où l'on trouve encore des caribous. Sur place ou à l'aide d'images satellites, on peut facilement repérer des coupes à blanc récentes, et cela tout autour du Parc national de la Gaspésie, frôlant ses limites et s'approchant des sommets. Rien n'est épargné.

D'ailleurs, je comprends bien les intérêts économiques à courte vue qui incitent à raser jusqu'aux dernières forêts, mais il faudra un jour que quelqu'un m'explique par quelle contorsion logique on peut appeler « réserves fauniques » ces territoires où il est autorisé et planifié de détruire l'habitat de la faune…

Des caribous de la Gaspésie, si la tendance se maintient, c'est évident qu'il ne restera bientôt plus que… des fantômes. Si vous avez la chance de les apercevoir, et ceci est vrai pour n'importe quel animal sauvage, s'il vous plaît, ne les suivez pas et gardez vos distances. Ils ont déjà assez de soucis comme ça!

Après nous avoir longuement observé, le trio de caribous s'en est tranquillement retourné dans sa forêt.

Les fantômes ne sont pas aussi bien formés qu'à notre dernière visite — l'hiver est encore jeune — mais le décor nous laisse encore une fois ébahis.

Isa.

Si la température est plus clémente qu'à notre première visite, les fantômes ne nous offrent pas une aussi bonne protection cette fois-ci. Est-ce en raison d'une direction du vent différente ou parce que les fantômes sont moins bien « habillés »? Mais pas de souci, les Chic-Chocs ne sont jamais à prendre à la légère et nous transportons ce qu'il faut pour affronter de bien pires conditions.

Signalisation masquée.

Le chemin parcouru.

20 secondes d'intervalle.

Réduire la distance par un aller-retour au sommet plutôt que parcourir la boucle complète? Ça impliquerait de manquer ça!

Les crêtes dénudées en arrière-plan sont celles du massif Vallières-de-Saint-Réal.

Voie de droite, nos pistes de randonneurs.

Voie de gauche, des pistes d'orignal.

La variété des paysages que l'on découvre tout au long du tracé contribue grandement au plaisir de cette randonnée.

Regard vers le sommet de Blanche-Lamontagne.

Le mont Blanche-Lamontagne à la tombée du jour.

À propos des auteurs

De plus en plus, je m'intéresse aux lieux plus qu'aux paysages. Au-delà de l'attrait esthétique, ce sont les usages évidents ou cachés des lieux, leurs histoires passées ou futures, qui susciteront mon intérêt. Cette étincelle m'est indispensable et explique probablement pourquoi je pratique relativement peu la photographie au quotidien. L'étincelle ne peut s'allumer que lorsque je mets tout le reste de côté pour m'abandonner à la photo, en me laissant porter par le moment présent.

J'ai mille projets photographiques en tête, mais je ne les réalise jamais car une fois le repérage et la réflexion faits, une partie de la motivation est déjà consommée. Je préfère la démarche plus spontanée, où je passe en «mode photo» et me laisse inspirer par ce que je découvre. Ainsi, s'il émerge parfois des ensembles cohérents parmi mes images, ceux-ci s'avèrent le plus souvent accidentels! Je n'ai rien contre l'approche calculée, au contraire j'admire ceux qui la pratiquent, mais ça ne marche pas pour moi, peut-être parce que je dois déjà faire amplement preuve de discipline et de patience dans les sphères professionnelles de ma vie. J'exige de la photographie qu'elle me fasse rompre avec mon quotidien.