Une chute féerique, non loin de la baie Éternité. De gros papillons jaunes, les monarques, virevoltaient autour de moi.

Le sentier Les Caps est un parcours accidenté qui longe le grandiose fjord du Saguenay. Un ami m'avait indiqué qu'il y avait par là des paysages parmi les plus beaux qu'il ait jamais vu; il fallait que j'aille vérifier! Pendant cinq jours, j'ai marché tranquillement sur environ 45 km, entre la baie Éternité et l'anse à Jack.

En chemin se trouvent plusieurs refuges et sites de camping sauvage. Les refuges, des abris rustiques, nous épargnent le transport d'une tente, ce qui est bien pratique pour qui est seul et transporte déjà un lourd équipement photographique!

Service très commode: les responsables du parc peuvent conduire notre véhicule à destination, au bout du sentier. J'ai donc laissé ma voiture près de l'accueil de Baie-Éternité, et j'allais la retrouver trois jours plus tard près de l'Anse-Saint-Jean.

Cap Trinité.

Plan rapproché sur une petite chute, près du lac du Cap.

La première journée fut éreintante; non parce que les premiers kilomètres soient plus accidentés que les autres, mais justement parce que c'étaient les premiers kilomètres! En fin de journée, je marchais comme un zombie et j'avais les pieds en compote.

Au coucher du soleil, me tremper les orteils dans le lac de la Chute fut un bonheur exquis! Ce faisant, j'ai pu observer que le lac était rempli de bestioles bizarres. Des espèces de lézards qui se promenaient au fond de l'eau, des drôles d'insectes qui nageaient tout juste sous la surface, puis des tas et des tas de sangsues… Il paraît que c'est un signe de pureté de l'eau! Insouciant, j'ai dû entacher grandement cette pureté lorsque j'y ai rincé mes bas malodorants…

À ma première impression, le refuge du lac de la Chute m'a semblé un peu sombre et sinistre. Il doit apparaître plus chaleureux l'hiver, lorsqu'on en a vraiment besoin. Je préfère nettement dormir sous la tente! Toutefois, le refuge offre la possibilité de manger à l'abri des moustiques lorsqu'on est exaspéré de ceux-ci. Oh, j'ai bien essayé de manger dehors, mais après une journée complète à me faire harceler, je me suis finalement défilé!

Le fjord du Saguenay, vu du cap Éternité.

Sur le cap Éternité.

Quelque part entre le cap Éternité et le lac de la Goutte, j'ai trouvé un bel endroit pour casser la croûte, avec vue sur le fjord. De là, j'ai longuement observé des kayaks glissant le long des falaises de l'autre rive. Je me disais qu'à leur place, je finirais par me lasser. Je ne pouvais m'imaginer plus heureux que dans mon petit coin ombragé, grignotant tranquillement, momentanément épargné par les moustiques et enveloppé du gentil gazouillement des oiseaux.

Néanmoins, la vue d'en bas doit aussi être très impressionnante. Ce sera pour une autre fois!

Le lac de la Goutte.

Je me suis rafraîchi un moment dans l'eau claire du lac de la Goutte. Le soleil éclatant eût tôt fait de me sécher!

Il y avait tout près un groupe d'amusantes petites libellules bleues qui utilisaient un nénuphar à la manière d'un porte-avion. Parfois, elles pouvaient être six ou sept à s'y poser. À d'autres moments, elles décollaient à toute allure, vraisemblablement en mission vers une cible connue d'elles seules.

Tout à coup apparut une monstrueuse libellule noire, beaucoup plus grosse, qui se mit à rôder près des petites acrobates insouciantes. Le monstre eût tôt fait de s'envoler avec une petite bleue entre les pattes, ce qui n'empêcha pas les semblables de la victime de continuer à vaquer à leurs occupations, comme si rien n'était…

Sous l'eau, les bibittes étranges, similaires à celles observées au Lac de la Chute, vaquaient aussi à leurs propres occupations.

Le fjord du Saguenay au matin, vu du refuge du lac du Marais.

La veille, en chemin entre le lac du Kalmia et le lac du Marais, j'ai pu admirer un immense complexe "castorien". Des secteurs de la forêt ont été inondés par des barrages de castors, tandis que d'autres ont été asséchés apparemment après que les digues se soient rompues. Sur la berge d'un de ces lacs asséchés, j'ai vu ce qui me semblait être des pistes d'ours dans la boue.

Le lac du Marais lui-même semble devoir son existence à un très vieux barrage de castors. Une grande partie du lac est envahie par la tourbe. Heureusement que j'avais recueilli de l'eau au lac du Kalmia, car celle du lac du Marais, si on se fie à sa coloration sombre, doit certainement avoir un goût terreux!

Déjà deux journées ont passé sans même croiser un seul être humain. Je n'ai pu dialoguer qu'avec moi-même, ainsi qu'avec les moustiques… Sauf que ces derniers ne m'écoutaient pas du tout!

Le lac du Marais et le refuge du même nom, vus d'un proche sommet.

Bien que je fus pourtant suffisamment crevé pour bien dormir, la seconde nuit fut plutôt agitée. C'est que, pour une bonne partie de la nuit, un gros porc-épic noir bien dodu a grignoté bruyemment l'abri à bois et le refuge. Faut croire qu'il appréciait le goût des piliers et des poutres de bois traité. De plus, des moustiques voraces semblèrent avoir découvert le trou situé aux pieds de mon sac de couchage…

À 5h30 le matin, la symphonie des oiseaux innombrables fut enchanteresse. Même les grenouilles du marais se laissaient aller à une petite jasette, créant une musique animée et légère, assez distincte de celle du soir qui s'apparentait plus à un opéra.

Toutefois, dès 7h30, les longs chants mélodieux des oiseaux s'étaient déjà transformés en petits gazouillements aléatoires. La prochaine fois, je me le suis promis, j'aurai un appareil pour enregistrer toutes ces sonorités!

Près de la montagne Blanche.

La forêt, par endroits, s'apparente à une jungle, très dense, avec des papillons qui s'échappent de chaque branche qu'on accroche au passage.

Ailleurs, après une soudaine montée, on se retrouve parfois sur une colline fleurie peuplée à peine de quelques sapins épars et rabougris.

Ces mignonnes fleurs blanches, les quatre-temps, m'ont accompagné durant toute la randonnée. Il y en avait sur toute la longueur du sentier Les Caps.

Les quatre-temps.

Point de vue sur le fjord du Saguenay.

Vue du belvédère de l'Anse-de-Tabatière, au coucher du soleil.

Juste au moment où je me croyais adapté aux attaques incessantes des moustiques, ceux-ci ont semblé redoubler de voracité, vers la fin de journée, alors que j'essayais d'ingurgiter un pauvre petit sandwich. C'est alors que je tentais de négocier à haute voix un pacte de non-agression auprès des moustiques que, contre toute attente, surgirent les premiers humains rencontrés en trois jours… J'ai dû passer pour un timbré!

Néanmoins, les six randonneurs originaires de Granby, ne semblèrent pas trop s'arrêter à ce détail et nous avons quelques heures plus tard partagé un terrain et un feu de camp au camping de l'Anse, à l'Anse-Saint-Jean.

Après trois jours en forêt, je me suis gâté un peu au village, avec hot dogs, crème glacée et autres cochonneries inaccessibles en plein bois. Ce n'est pas qu'en ville je me gave tellement de ces choses, mais je me sentais extrémiste! À l'épicerie, j'ai entendu un bulletin de nouvelles à la radio. Tel projet de 1,6 millions $, madame Chose qui a fait ceci, le ministre Machin qui a fait cela… Bôf! Ce genre de soucis semble si insignifiant et futile après quelques jours dans la forêt à se préoccuper uniquement de besoins primaires tels que se nourrir! Ces besoins, pourtant vitaux, on n'y porte pas autant attention dans la routine à haute vélocité de la vie citadine.

L'Anse-Saint-Jean au crépuscule.

Le village de l'Anse-Saint-Jean est parmi les plus beaux que j'ai pu voir au Québec. Il sied dans un lieu enchanteur, au fond de l'anse et cerné de collines.

C'est quelque chose à voir, très tôt le matin, lorsque l'anse se libère des brumes, dévoilant le fjord et une petite barque de pêcheurs qui rentrent au village.

L'anse de Saint-Étienne, à marée basse.

En avant-midi, puisque j'eûs assez rapidement parcouru les 9 km de sentiers entre l'Anse-Saint-Jean et Petit-Saguenay, je disposai de tout l'après-midi pour flâner. Aucun sentier ne reliant Petit-Saguenay à l'anse de Saint-Étienne (ça devrait s'arranger dans le futur), je me suis rendu à l'anse de Saint-Étienne en voiture.

À marée basse — car les marées affectent une bonne partie de la rivière Saguenay — l'anse de Saint-Étienne devient une immense plage.

Cette grande plage était bien peu fréquentée. Peut-être l'orage qui venait de se terminer avait-il chassé les visiteurs? Des pêcheurs passèrent en discutant, bière à la main, traversèrent la profonde plage et s'enfoncèrent dans les eaux du Saguenay jusqu'à la taille pour y rester quelques heures à lancer leurs lignes au large. J'entendis qu'ils regrettaient de ne pas être venus plus tôt, car la marée était à présent trop basse à leur goût. Pendant ce temps, leurs enfants fouinaient dans les environs, récoltant des fruits de mer laissés sur le sable au retrait des eaux.

L'anse de Saint-Étienne, à marée basse.

L'anse de Saint-Étienne, à marée basse.

L'anse de Saint-Étienne, à marée basse.

L'anse de Saint-Étienne, à marée basse.

Dans l'anse de Saint-Étienne, sur le sentier vers l'anse aux Petites-Îles.

La veille, j'ai campé au camping du Club des Messieurs, à Petit-Saguenay. Drôle de nom pour un camping! Contrairement au camping de l'Anse, occupé majoritairement par de grosses maisons roulantes, celui-ci est plus rustique. Il est agréable d'y entendre tonner la rivière Petit-Saguenay, toute proche, mais il reste que la vue magnifique offerte par le camping de l'Anse est difficile à battre.

Au bout de quelques jours, après avoir fréquenté tant de moustiques, on vient à ne plus craindre leurs piqûres et à ne plus "piquer" de crises de désespoir, mais cela n'empêche pas d'haïr profondément ces parasites! Les innombrables piqûres causent, dirait-on, une sorte de traumatisme; parfois, on croit être en train de se faire piquer à quelque part, on regarde et il n'en est rien. Sorte de malaise psychosomatique! Le soir, prendre une douche donne l'impression de se laver de toutes ces piqûres réelles ou imaginaires, mais celles-ci se remettent néanmoins à picoter peu de temps après la douche…

La pinède.

Entre l'anse de Saint-Étienne et l'anse aux Petites-Îles, un détour sur la boucle de la Pinède vaut amplement le petit effort supplémentaire. Là, comme le nom le laisse entendre, une belle forêt de pins fait contraste avec la végétation des autres secteurs du sentier Les Caps. De plus, on y trouve de beaux points de vue sur l'anse de Saint-Étienne et le fjord. Du haut des falaises délimitant la pinède, j'ai même pu observer des bélugas qui nageaient dans le Saguenay.

Sentier entre l'anse de Saint-Étienne et l'anse aux Petites-Îles.

À propos des auteurs

De plus en plus, je m'intéresse aux lieux plus qu'aux paysages. Au-delà de l'attrait esthétique, ce sont les usages évidents ou cachés des lieux, leurs histoires passées ou futures, qui susciteront mon intérêt. Cette étincelle m'est indispensable et explique probablement pourquoi je pratique relativement peu la photographie au quotidien. L'étincelle ne peut s'allumer que lorsque je mets tout le reste de côté pour m'abandonner à la photo, en me laissant porter par le moment présent.

J'ai mille projets photographiques en tête, mais je ne les réalise jamais car une fois le repérage et la réflexion faits, une partie de la motivation est déjà consommée. Je préfère la démarche plus spontanée, où je passe en «mode photo» et me laisse inspirer par ce que je découvre. Ainsi, s'il émerge parfois des ensembles cohérents parmi mes images, ceux-ci s'avèrent le plus souvent accidentels! Je n'ai rien contre l'approche calculée, au contraire j'admire ceux qui la pratiquent, mais ça ne marche pas pour moi, peut-être parce que je dois déjà faire amplement preuve de discipline et de patience dans les sphères professionnelles de ma vie. J'exige de la photographie qu'elle me fasse rompre avec mon quotidien.