Profitant d'une journée parfaite, c'est à Huntingdon qu'Isa et moi avons emmené nos vélos pliants pour une courte randonnée. Le Haut-Saint-Laurent est un secteur de la Montérégie qui possède quelques trésors historiques pratiquement secrets que nous comptions bien découvrir!
Impatients de nous dégourdir les jambes après un peu plus d'une heure de route depuis Montréal, nous ne nous attardons pas à Huntingdon. La petite ville, bien qu'un peu déglinguée par endroits, possède quelques bâtiments intéressants, mais nous garderons son exploration pour une autre fois. En suivant la rue Lake vers le nord, nous avons tôt fait de rejoindre le chemin Ridge, où débute notre itinéraire campagnard.
À l'approche du site Droulers-Tsiionhiakwatha, par la montée Cooper, la palissade marque le paysage. Une juxtaposition de longs troncs d'arbres effilés, la fortification ne ressemble à aucune architecture qui nous soit familière. Le village reconstitué compte une seule palissade, mais ce type de village devait, à l'origine, compter plusieurs palissades concentriques, plus susceptibles de repousser les ennemis et les animaux.
Le site Droulers-Tsiionhiakwatha, un lieu historique national du Canada, reconstitue un village iroquoien du 15e siècle sur l'un des plus importants gisements archéologiques au Québec, où des dizaines de milliers d'artéfacts remarquablement bien conservés ont jusqu'à présent été mis au jour. Vers 1450, soit avant l'arrivée des premiers Européens, environ cinq cents Iroquoiens du Saint-Laurent vivaient dans une quinzaine d'habitations, des « maisons longues », sur une butte stratégique située à proximité de la rivière La Guerre. La position surélevée protégeait le village des inondations et facilitait la surveillance du village contre les ennemis, tandis que les riches écosystèmes du territoire environnant permettaient la chasse, la pêche et la cueillette.
Construit en portant la plus grande attention envers les détails historiques et essentiellement en usant de techniques traditionnelles, le village reconstitué offre des visites captivantes animées par des guides enthousiastes qui maîtrisent leur sujet, et des ateliers de fabrication traditionnelle sont dispensés par des membres des communautés Mohawk de la région.
Pour entrer dans le village il fallait, explique notre guide, franchir un labyrinthe dont les passages ne faisaient pas plus d'une largeur d'épaules. Comme le trajet pouvait prendre 20 minutes à qui savait s'y retrouver, l'accès se trouvait compliqué tant pour les ennemis que pour les animaux sauvages, qui ne pouvaient que s'y perdre. Des plateformes installées au-dessus des passages offraient des positions privilégiées pour combattre les intrus.
Les Iroquoiens cultivaient de nombreuses plantes dans la plaine autour du village, dont le topinambour. La culture la plus importante était celle des kionhekwa, « les trois sœurs », un trio constitué du maïs, du haricot et de la courge. Sur un monticule d'environ un mètre de diamètre, on plantait d'abord une dizaine de grains de maïs. Le haricot était semé plus tard de sorte à utiliser, en poussant, les plants de maïs comme tuteurs. Enfin la courge, avec ses grandes feuilles, venait garder le monticule humide et empêcher la croissance de mauvaises herbes.
Les maisons reconstituées sont couvertes d'une couche d'écorce, mais à l'époque plusieurs couches d'écorces étaient superposées pour assurer une plus grande étanchéité contre les intempéries.
Selon notre guide, une maison longue comme celle-ci pouvait héberger 50 personnes. Chaque « cubicule » accueillait une famille : deux parents et leurs enfants, qui dormaient ensemble sur un épais lit de branches de sapins et de fourrures. Au centre, devant chaque cubicule, un feu était entretenu en permanence, été comme hiver. La fumée était telle que les viandes et autres aliments, suspendus ou entreposés à l'étage, pouvaient être conservés pendant une bonne année.
C'est en bordure de la rivière La Guerre – qui tire son nom de l'un des premiers colons de la région, François Benoît dit « La Guerre » – que le hameau de Rivière-La Guerre fut fondé, vers 1820. Ayant compté jusqu'à une centaine d'habitants, cette communauté constituée principalement d'immigrants écossais connut cependant une existence brève. En effet, on commença à la délaisser dès 1850, en raison de l'épuisement des ressources forestières et d'inondations causées par la construction de barrages en aval du lac Saint-François. La construction, entre 1847 et 1850, de l'église Calvin n'empêcha pas l'exode. Aujourd'hui, les ruines de cette modeste église presbytérienne et son cimetière sont les témoins les plus visibles de cette période.
On doit l'existence des ruines de Rivière-La Guerre au fait qu'elles sont encore entretenues aujourd'hui. La maçonnerie a été solidifiée, la pelouse est tondue, plusieurs pierres tombales du cimetière ont été restaurées. Si seulement ce souci de la préservation du patrimoine était plus répandu au Québec! Ne vaut-il pas mieux laisser une église à l'état de ruine que de la raser, de l'effacer, comme on l'a fait à Pierreville le mois dernier? Un bâtiment démoli ne pourra plus jamais témoigner de l'histoire.
Quant à la rivière La Guerre elle-même, je n'ai photographié aucun de ses méandres! Vous me pardonnerez, je l'espère, cette omission regrettable, en concédant que le compte rendu de quelques « méandres historiques » de la rivière La Guerre peut justifier le titre que j'ai donné à cette série d'images!