Premier voyage à vélo en Asie… C'est qu'à Prachuap Khiri Khan, après avoir goûté à la liberté que m'avait procuré un vélo emprunté, j'ai décidé d'en acquérir un à mon retour à Bangkok. J'ai tout de même eu besoin de plusieurs jours pour me décider définitivement, et ensuite pour trouver le vélo idéal. Mon voyage en Thaïlande a alors pris une tournure que je n'avais pas prévue au départ!
Il y a bien à Bangkok quelques dispendieuses boutiques de vélos "professionnels", comme ProBike (237/1 Soi Sarasin, près de Lumphini Park), mais j'ai trouvé la perle pas trop chère sur la rue Luang (Ngee Hong, 428 Th Luang), juste au nord de Chinatown, où se trouvent plusieurs boutiques. Avec un certain effort, il y a moyen d'y trouver ce qu'on cherche, entre les vélos pour enfants et les vélos bon marché "made in China". Une fois qu'on a trouvé, il faut négocier serré le prix de chaque composante et accessoire…
Le jour du grand départ, le premier coup de pédale donné en direction de la gare de Thonburi (parfois appelée Bangkok Noi), j'ai commencé à me sentir un peu fou de me lancer dans cette aventure…
Le soir précédent, j'avais repéré à vélo le chemin pour me rendre à cette gare. Ce fut une expérience spéciale que de se perdre dans le dédale de ruelles étroites de Thonburi, bordées de canaux d'eau stagnante. La lampe halogène installée sur le vélo y fut fort utile. En plus de me permettre de voir quelque chose dans les ruelles peu éclairées, la lampe prévenait les rares passants de mon approche, plutôt que de les surprendre — car on ne s'attend pas à voir surgir un silencieux vélo là où, d'habitude, on entend de loin venir des motos.
Si on n'est pas effrayé à l'idée de s'y perdre, il est plutôt agréable de rouler dans Thonburi, puisque la plupart des ruelles sont trop étroites pour permettre le passage des voitures.
L'itinéraire vers la gare comprenait deux embûches notables: deux ponts pas très sympathiques pour les cyclistes. Car si on veut éviter de risquer sa vie sur ces ponts entre voitures, motos, autobus, camions et autres véhicules plus étranges, il faut prendre le vélo à l'épaule et grimper les escaliers piétonniers. Un bon exercice, avec des bagages sur le vélo…
Après le pont Phra Pin Klao, il faut prendre à gauche en direction du Musée des Barges royales. Après le musée, les ruelles rétrécissent et prennent des allures de labyrinthe. Leur étroitesse ne permet même pas le passage à la fois d'un chien et d'un cycliste, alors les chiens errants se sauvent en avant et se réfugient dans le premier trou venu, afin de laisser passer le cycliste. Quand une moto arrivait derrière moi, je me dirigeais à mon tour dans le premier trou venu. Comme ailleurs à Bangkok, le plus gros véhicule a toujours priorité…
En se perdant gentiment dans les ruelles, après avoir croisé ainsi quelques chiens et quelques motos, on finit par tomber sur la rue Arun Amarin et le second pont anti-cyclistes, après lequel il ne reste que quelques centaines de mètres jusqu'à la gare, située au-delà d'un marché.
Le voyage vers Kanchanaburi fut fort agréable, le train peu achalandé. Durant les deux heures trente du trajet, je n'ai pas ressenti la dureté du bois des banquettes de 3e classe, trop occupé que j'étais à admirer les paysages par ces grandes fenêtres ouvertes typiques des trains thaïs.
Les joviaux employés du train se sont bien occupés du vélo, qui fut solidement attaché dans le compartiment réservé aux bagages de grande taille. Durant le trajet, j'ai pu à mon gré aller vérifier que tout s'y passait bien.
Pour entreposer quelque chose dans le compartiment à bagages, il suffit d'acheter un billet spécial dont le prix est fonction du poids du bagage. Arrivé à destination, on doit aussi présenter ce billet pour retirer notre bagage. Au début, je m'inquiétais pour mon vélo à chaque arrêt du train, mais ce système, et surtout les employés, semblent fiables. Durant mon séjour en Thaïlande, je n'ai rencontré aucun problème sur les dizaines d'occasions où j'ai amené le vélo à bord d'un train. D'ailleurs on y transporte de tout, même des téléviseurs et des motos.
Descendre à la gare pourvu d'un vélo est une expérience des plus plaisantes. On peut facilement explorer la ville inconnue dans laquelle on vient d'arriver, visiter différentes auberges, tout en transportant nos bagages avec la plus grande facilité. En outre, on ne risque pas de se faire escroquer par un conducteur de tuk-tuk nous amenant à fort prix à un endroit qui aurait été facilement accessible à pied! Bien sûr, on risque aussi de ne pas trouver rapidement les endroits qu'on cherche, et même de s'égarer! Toutefois, il est nettement plus facile de s'orienter lorsqu'on se déplace soi-même que lorsqu'on se fait pratiquement téléporter à quelque part.
Kanchanaburi est une importante destination touristique et je suis rapidement tombé sur quelques "attractions" populaires de la ville. D'abord les discos flottantes, sur la rivière Kwaï, des barges tirées par des remorqueurs bruyants et à bord desquelles des farangs (occidentaux) gigotent comme des singes sur de la musique pourrie et trop forte. Puis, ensuite, les non moins bruyants bateaux "à longue queue", filant à toute vitesse sur la rivière avec leurs cargaisons de touristes qui n'ont ni le temps de voir quoi que ce soit, ni la chance d'entendre autre chose que le moteur pétaradant. Et, enfin, une triste alternance de bars et d'auberges sur une rue longeant la rivière.
J'ai trouvé une place pour la nuit dans un quartier regorgeant d'auberges mais qui était heureusement éloigné de la rue des bars. J'y habitais une hutte de bambou éloignée de la rivière et de ses discos nocturnes. Les maisons flottantes, habituellement préférées par les visiteurs, sont si grandes et stables qu'une fois à l'intérieur on y perd sans doute toute notion d'être sur l'eau…
Le soir, je me suis perdu et reperdu, à vélo dans la ville, où j'ai trouvé le marché nocturne. J'ai beaucoup apprécié cet endroit authentique, sympathique, vivant, grouillant d'activité. Être là était le seul divertissement, si simple, dont j'avais besoin!
Le pont de la rivière Kwaï est un site historique important de Kanchanaburi. Ce pont faisait partie d'un chemin de fer stratégique entre la Thaïlande et la Birmanie, construit par des travailleurs forcés asiatiques et des prisonniers de guerre alliés pendant l'occupation japonaise, entre 1943 et 1945. Plus de 100 000 travailleurs ont péri durant les travaux de ce qui est désormais appelé le "chemin de fer de la mort", des suites de brutalités, privations, maladies ou par épuisement. Les ouvriers devaient travailler de longues heures, jour et nuit, par des températures accablantes. Traversant un territoire très accidenté, la voie fut achevée en 17 mois. Et opérationnelle pendant seulement 25 mois.
Le pont de la rivière Kwaï fut bombardé à plusieurs reprises durant la guerre et reconstruit par la suite. Néanmoins, les portions arrondies du pont datent de 1943.
De nos jours, le chemin de fer s'arrête à Nam Tok, à 77 km de Kanchanaburi, loin de la frontière birmane, car la voie (alors en très mauvais état) fut démantelée après la guerre.
L'atmosphère au pont de la rivière Kwaï n'est pas aussi propice au recueillement que l'exigerait son histoire tragique. Il s'agit plutôt d'un enfer à touristes, dont une grande proportion de Japonais venant en groupes organisés. On se marche littéralement sur les pieds pour traverser le pont, tandis les vendeurs de pacotilles se pressent à chaque extrémité.
En soirée — c'était samedi — quelques employés de l'auberge nous ont amené sortir en ville, un gros groupe comptant 14 touristes et moi-même. Nous sommes allés au Apache Saloon, un endroit visiblement plus fréquenté par les Thaïs que par les touristes, même s'il y avait aussi dans la foule deux autres petits groupes d'occidentaux.
Le spectacle live éclectique fut vraiment très amusant! La discothèque était, comme on pouvait s'y attendre, dans un style saloon, avec beaucoup de bois rond. Derrière la scène se trouvait une immense tête d'Indien argentée et en relief, changeant d'effet et de couleur selon l'éclairage ambiant.
Sont d'abord apparus sur la scène les musiciens: Un batteur au style asiatique standard et discret, qui passerait inaperçu n'importe où; un bassiste travesti aux longs cheveux teints en blond, vêtu de pourpre, jupe incluse, décoré de motifs dorés et argentés; un guitariste grasouillet mais costumé et maquillé dans un style efféminé, de délicates mèches de cheveux descendant sur un visage bouffi, portant une chemise rouge collant à la peau et ouverte jusqu'au nombril, des pantalons moulants révélant des jambes bien peu féminines, ainsi que d'affreuses bottes de cow-boy; et un claviériste discret dans le genre du batteur, sauf que dans son cas cela semblait pas être un choix délibéré. Puis le chanteur a surgi, un genre de Gerry Boulet Thaï aux longs cheveux bruns, chantant des hits américains de heavy metal des années 80, ainsi que des hits thaïs de heavy metal contemporain.
Le spectacle a vraiment commencé à devenir éclectique quand le groupe s'est mis à changer de costumes et de chanteur à chaque chanson. Après le Gerry, on eu eu droit à un grand énervé aux cheveux courts et raidis, vêtu d'un habit argent brillant, sautant dans toutes les directions et chantant un quelconque air de pop thaïlandaise répétitive. Ensuite, on a eu droit à une grande femme fatale, également en costume brillant, chantant sur un fond de musique danse thaïlandaise, accompagnée de deux danseuses sexy, puis de deux danseurs. Puis le spectacle enchaîna avec un petit hurluberlu à la voix puissante, portant d'énormes lunettes bleues carrées et revêtu d'une sorte de kimono de soie. Il interprétait des hits de rock thaï particulièrement appréciés de la foule. Puis tous ces personnages se sont tour à tour échangé l'avant-scène, parfois la partageant, troquant costume coloré pour costume coloré entre chaque chanson.
Chacun des personnages restait néanmoins fidèle à son image. Le Gerry dérivait parfois dans des styles AC/DC ou David Lee Roth, mais conservait son look Gerry. L'énervé restait toujours énervé et luisant. Il apparut même avec une cape argent à pois noirs, dans laquelle il aimait s'envelopper et se développer. La grande femme fatale restait toujours sexy, allant jusqu'à chanter vêtue d'un simple bikini. Ses deux danseurs, quant à eux, apparurent même déguisés en filles rigolottes, l'une coiffée d'une perruque ébouriffée et se voulant sexy en longue robe semi-transparente, tandis que l'autre restait bien masculine avec ses faux seins ne tenant pas toujours là où ils devaient… L'hurluberlu, quant à lui, se donnait un certain air cool et branché et se réservait les chansons les plus populaires. À l'entracte, il agissait aussi comme DJ, tout en distrayant la foule en lançant au micro des boutades qui semblaient amusantes.
Rentré à l'auberge vers 1h30, j'ai été reçu par le veilleur de nuit dormant profondément, installé sur un banc avec un oreiller! Lui qui m'avait assuré de sa présence alerte lorsque j'avais fait part de mes craintes à laisser mon vélo près de la réception la nuit… Sans le déranger, j'allais récupérer moi-même la clef de ma hutte derrière le comptoir, lorsque le téléphone a sonné! Je me suis donc vite rétracté, mais il a tout de même fallu quatre bonnes sonneries avant que l'homme ne soit tiré des limbes.
En visitant la grotte du Wat Tham Khao Pun, j'ai peut-être compris pourquoi les moines appréciaient ces lieux pour la méditation: c'est le silence total, on y est coupé du monde extérieure. Il n'y a pas même un insecte pour déranger.
Il s'agit d'une très jolie grotte, pleine de bouddhas, mais je n'y ai pas croisé de moines. À l'extérieur, les moines que j'ai vus ne semblaient pas très orthodoxes. Sur une saillie rocheuse procurant une belle vue sur la rivière Kwaï Noi, un moine était assis avec un groupe de gens déjà saouls en milieu d'après-midi, qui buvaient du whisky et chantaient aux pieds d'un bouddha obèse. Ailleurs, dans un jardin du temple, un autre moine affalé sur un banc, l'air hagard, faisait du tapage en cognant le banc de la main, comme pour faire un air musical… Une nouvelle forme de méditation, peut-être?
J'ai plus tard lu qu'un moine de ce monastère avait assassiné une touriste britannique en 1995, pour la voler et se payer de la drogue… Heureusement, ce moine maintenant défroqué serait désormais en prison.
Quand je suis arrivé au Wat Tham Mongkon Thong, en fin d'après-midi, j'ai été intrigué de découvrir que de nombreux vendeurs s'affairaient à installer des stands à pacotilles. Il se mit à pleuvoir, alors je suis allé visiter la grotte, située sur une colline, en haut d'un long escalier bordé de nagas (sorte de serpent mythique).
Je n'ai pas trouvé la grotte particulièrement intéressante, mais en sortant, alors que les nuages gris étaient loins, j'ai entendu des cris et des applaudissements en bas de la colline, une étrange ambiance pour un monastère.
Je suis descendu et j'ai admiré brièvement des paons dans leur cage, puis deux jeunes éléphants attachés aux pattes par de courtes chaînes. Sous un abri cerné d'un mur de béton semblaient se trouver beaucoup de gens. Un homme se trouvant près de l'enceinte m'adressa un "you!", alors je me suis approché et il ajouta: "ten baht, ten baht!". Intrigué, j'ai jeté un coup d'oeil par l'entrée de l'enceinte. Il y avait là une foule de Thaïs, Japonais et Chinois, plusieurs prenant des photos, tous assis sur des estrades en cercle, un peu comme dans un cirque. Au centre d'attraction se trouvait un bassin d'eau, mais je ne voyait pas ce qui s'y trouvait, celui-ci étant partielle caché par une estrade. L'homme ajouta un autre "ten baht!" alors, toujours intrigué, je lui répondis: "fish?"…
Sauf qu'en jettant un second coup d'oeil, j'aperçus une nonne dans l'eau, la soeur flottante! Je me sentis un peu mal à l'aise d'avoir parlé de poisson… Je n'ai pas osé trop regarder, craignant que l'homme ne me réclame vraiment ses 10 baht. Je n'avais pas vraiment envie de contribuer au cirque… Appelent-ils cela de la méditation?
Deux minutes plus tard, le cirque était fini et tout le monde s'en allait. Ah! Si j'avais payé l'entrée, j'aurais à peine eu le temps de m'asseoir avant la fin de la représentation!
Le Wat Tham Seua, d'un style thaï spectaculaire, et le Wat Tham Khao Noi, de style chinois, sont deux monastères imposants se partageant une même colline, à environ 15 km de Kanchanaburi. Ils ne sont séparés que par un mur de béton, au sommet duquel on peut voir quelques barbelés… Il ne semble y avoir aucun passage autorisé entre les deux temples, si bien que, pour visiter les deux, il est nécessaire de grimper la colline deux fois!
J'ai trouvé le Wat Tham Khao Noi moins intéressant, mais la vue depuis le sommet de sa tour chinoise est très belle.
Au Wat Tham Seua, on semble friand de mécanique, puisque le site dispose d'un funiculaire permettant de grimper sans effort au sommet de la colline, d'un ascenseur permettant d'atteindre le dernier étage d'un prang géant, de même que d'un tapis roulant transportant automatiquement jusque dans un bocal les dons déposés par les visiteurs… Ces gadgets sont sans doute apprécié des visiteurs, presque tous des Thaïs qui affluent en autobus l'après-midi.
Par ailleurs, on retrouve au Wat Tham Seua le corps, fortement décomposé malgré sa cage de verre, d'un ancien moine du temple.
Je ne saurais même pas compter le nombre de chiens qui, au cours de la journée, ont aboyé à mon passage à vélo ou se sont lancés à ma poursuite.
Après être descendu de la petite grotte du Wat Ban Tham, je me suis abrité sous un petit pavillon près de la route, en attendant que la pluie cesse. C'est alors que des chiens rôdant au temple sont venus me menacer de leurs grognements et de leurs crocs. Les bêtes se rapprochant et se faisant de plus en plus nombreuses, elles ont fini par m'inquiéter, alors j'ai empoigné ma pompe à vélo pour leur montrer que j'étais armé! Les chiens en Thaïlande savent ce qu'un humain peut faire avec un bâton ou une roche. Il suffit d'ailleurs de feindre ramasser un caillou au sol pour qu'ils se sauvent la queue entre les pattes!
Un petit garçon qui devait avoir environ 12 ans, sans doute alerté par tous ces aboiements, est arrivé tout près, armé d'un bâton. J'avais donc un garde privé et la meute s'est tenue tranquille!
Les ruines de style khmer du parc historique national de Muang Sing ne sont peut-être pas les plus impressionnantes du pays, mais le parc est très joli, paisible et impeccablement entretenu.
Mon premier geste en arrivant au parc historique de Muang Sing fut de m'informer auprès des fonctionnaires quant à la possibilité de passer la nuit dans le parc.
J'ai été très bien reçu et un agent en scooter m'a conduit à un site enchanteur où je pouvais camper gratuitement, sur le bord de la rivière Kwaï Noi. Le coin était fort bien aménagé et il y avait de jolies fleurs un peu partout autour. C'était un petit coin de paradis! Le parc disposait de deux bungalows alors inoccupés (300 baht), mais j'ai choisi de tester ma toute nouvelle tente-hamac. De toute façon, l'agent m'avait volontiers laissé accès à la salle de bain de l'un des bungalows, ce qui était l'essentiel du confort dont j'avais besoin.
Très attentionné, l'agent m'a également conduit à un petit resto du village voisin, où je pouvais manger le soir après la fermeture du bouiboui du parc.
J'ai suspendu ma tente-hamac à côté d'un petit abri pourvu de bancs où il serait agréable de s'asseoir, même en cas de pluie. La principale difficulté lors de l'installation fut de faire la lutte aux grosses fourmis rouges, qui ne semblaient pas apprécier se faire déranger sur leur arbre. Aussi fallait-il faire les noeuds le plus vite possible, car ces fourmis démoniaques mordent! Heureusement qu'il ne s'agissait pas d'un hamac ordinaire, mais d'un hamac complètement fermé par un filet, car, sans cela, ces fourmis aggressives m'auraient certainement attaqué durant mon sommeil.
Des préposés à l'entretien paysager travaillant tout près s'étaient bien moqués en me voyant installer un hamac. Compte tenu de leur travail, ils connaissaient très bien les fourmis rouges (ils m'ont d'ailleurs enseigné le mot thaï désignant une fourmi: "mott") et affirmaient qu'il me serait impossible de dormir… Jusqu'à ce qu'ils voient ce drôle de hamac de plus près!
Je ne savais pas où passer la nuit, mais je ne me sentais pas la force de pédaler jusqu'au parc national de Sai Yok, situé d'ailleurs à une distance qui m'était inconnue.
Alors je me suis informé dans la petite ville de Sai Yok et on m'a envoyé au "Sai Yok Place Resort", un amalgame de maisons flottantes situé à environ 2 km à l'ouest de la gare, au bout d'un chemin de terre. Les prix se sont révélés très chers compte tenu du délabrement des lieux, mais les autres possibilités, des accommodations de luxe, étaient nettement plus dispendieuses.
Reliant Sai Yok à la route 323, la route 3343 était en montée abrupte sur 5 km. Des ouvriers travaillant à la réfection du pavage, au plus fort de la côte, m'envoyèrent leurs encouragements tout en semblant oublier momentanément leur propre tâche!
Il y a toujours des incertitudes à voyager à vélo. D'abord les cartes et les guides n'ont presque jamais le niveau de détail voulu. Cela a pour conséquence de ne pas toujours savoir d'avance où on pourra dormir, s'il y aura des côtes à gravir, ou même quelle distance il faudra réellement parcourir.
Mes cartes furent particulièrement imprécises ou incomplètes dans la région de Sai Yok. Un cycliste désire habituellement éviter les routes principales, mais aucune de mes cartes ne montrait la petite route liant Muang Sing et Sai Yok (que j'avais néanmoins empruntée, sans être certain qu'elle m'amènerait à destination). La carte de mon guide touristique était bourrée d'erreurs: la ville de Sai Yok y était située du mauvais côté de la rivière, la route reliant Sai Yok à la route 323 paraissait avoir 10 km plutôt que les 5 km réels. Quelques jours plus tard, j'ai aussi constaté que Hellfire Pass était en réalité située avant le parc national de Sai Yok (alors que mon guide montrait le contraire), tandis que je devais prévoir 25 km de marge d'erreur pour estimer la distance de l'entrée du parc national, nulle part indiquée précisément.
Les guides touristiques sont bien sûr incomplets au niveau des possibilité d'hébergement. Aucun ne mentionnait les possibilités que j'ai trouvées à Sai Yok et près des chutes de Sai Yok Noi, où on retrouve quelques endroits très austères, mais aussi des accommodations de luxe.
Côté bouffe, il est également difficile d'estimer ce qu'on pourra trouver sur une route inconnue. Par conséquent, je transportais toujours quelques grignotines et surtout beaucoup d'eau. Manquer d'eau par ce climat pourrait très bien avoir des conséquences graves. À ce sujet, entre Kanchanaburi et le parc national de Sai Yok, j'ai constaté que l'approvisionnement n'était pas un problème, puisqu'il y avait au moins un vendeur de riz ou de nouilles au plus à tous les 10 km. Et certains sont excellents! Dans un petit resto (en réalité un simple abri de bambou joliment aménagé) entre Kanchanaburi et Muang Sing, l'homme qui parlait bien l'anglais m'avait offert hot-dog, spaghetti… Comme si les farangs ne mangeaient que ça! J'avais alors précisé vouloir de la bouffe thaïe, n'importe laquelle, sa favorite, et il m'avait ainsi servi une tom yam kung, un classique de la cuisine thaïe, une soupe aux crevettes qui fut divine!
Les chutes de Sai Yok Noi étant situées presque sur la route elle-même, l'endroit semble être une escale obligatoire pour quiconque circule sur la route 323.
En plein congé bouddhique, j'ai pu constater la présence d'innombrables touristes Thaïs venus en autobus. Ils adorent les chutes. Ces chutes, par contre, je les ai trouvées très peu attrayantes. Les alentours étaient trop et mal aménagés, avec notamment des petits ponts sans eau en-dessous et inondés à chaque extrémité (très commode!). Et chaque centimètre de terre a été piétiné, au point d'en être dur comme du roc et de ne laisser poindre aucune parcelle d'herbe.
Là encore, je me suis informé auprès de gens de l'endroit quant aux possibilités d'hébergement et on me suggéra un établissement du nom de "Sai Yok Noi Bungalows". Je découvris que j'avais plus tôt croisé le petit chemin menant à l'endroit, 1 km avant les chutes, sauf qu'aucune des affiches "Bung Kalo Sai Yoke Noy" ou "Sai Yok Noi Bangalo" ne m'avait alors fait réaliser qu'il s'agissait d'hébergement…
Hellfire Pass, le "col du feu de l'enfer", est une tranchée creusée dans le roc à coups de pics et de pelles par les prisonniers alliés de la Seconde Guerre, lors de la construction du "chemin de fer de la mort".
Le nom du site, donné par les détenus, proviendrait des feux des lampes employées lors des travaux nocturnes, qui donnaient à l'endroit des airs de porte sur l'enfer.
70% des travailleurs forcés ayant été affectés aux travaux des différentes tranchées de la ligne ferroviaire y ont perdu la vie.
Pour plusieurs dont les proches ont péri durant la construction du « chemin de fer de la mort », Hellfire Pass est un véritable lieu de pélerinage.
Peu nombreux sont les visiteurs qui font l'effort de marcher sur le trajet de l'ancien « chemin de fer de la mort ». Pour celui qui s'en donne la peine, il s'agit d'une occasion de réfléchir au destin tragique des hommes réduits à l'esclavage qui ont souffert ici.
Alors que je me sentais fatigué après seulement quelques kilomètres de marche, les travailleurs forcés, eux, devaient marcher 8 ou 9 km jusqu'à leur camp, malnourris et malades, après avoir travaillé jusqu'à 16 heures consécutives, même durant la saison sèche (très chaude). J'ai eu l'impression que je n'aurais pas survécu une semaine dans de telles conditions!
Les gens sont généreux par ici. En route pour le parc national de Sai Yok, je me suis arrêté pour un simple petit rafraîchissement et on m'a offert trois grosses bananes. Plus tôt dans la journée, c'était une soupe qu'on m'avait offerte pour accompagner mon omelette et mon riz. La veille, l'homme du "Sai Yok Bangalo" avait partagé sa concoction d'ananas séchés, sucrés et chauffés. La journée précédente, on m'avait gavé de petits gâteaux à la noix de coco… Et j'en oublie! Chaque jour a sa surprise.
L'agent contrôlant l'entrée du parc avait un air bête à décourager du voyage, mais ce fut vite oublié une fois dans le parc. La forêt de teck était majestueuse. À mesure que j'avancais sur la route du parc, l'ambiance sonore des insectes et des oiseaux changeait. Chaque espèce semblait avoir son secteur.
Les bureaux du parc étant déjà clos, je me suis dirigé vers les nombreux bouibouis alignés les uns à la suite des autres, afin de me renseigner quant à l'hébergement. Avant même d'avoir parlé à qui que ce soit, une femme sortie de la première échoppe s'est presque jetée sur moi pour me louer une chambre, puis un homme à moto est soudainement apparu pour me montrer le chemin.
Il s'agissait d'une belle maison flottante, rudimentaire et sans électricité, mais jolie et impeccablement bien tenue. La maison consistait en fait en une grande plateforme de bois protégée par un toit de bambou et entourée d'une rampe. Près de l'une extrémité de la plateforme se trouvait une petite cabane, également faite de bambou, juste assez grande pour un matelas; c'était ma chambre. Tout au bout, une cage de tôle tenait lieu de salle de bain où les eaux usées se déversaient directement dans la rivière, de laquelle nous tirions aussi l'eau pour se laver ou faire la lessive…
Trois embarcations de ce même style étaient arrimées ensemble. Sur l'une d'elle vivaient les propriétaires, une femme et deux hommes, tandis que les deux autres étaient louées aux visiteurs. D'autres maisons étaient amarrées en amont, en aval et sur l'autre rive, formant une sorte de village.
Le jour, quand ils ne buvaient pas de bière, les hommes faisaient souvent la sieste à même le plancher de bois, alors que la femme travaillait dans son bouiboui toute la journée. Le travail des hommes semblait se limiter à occasionnellement transporter des touristes par bateau (tout en buvant de la bière) ou à remorquer une maison, que ce soit pour l'amarrer ailleurs pour la nuit ou pour amener ses locataires près d'une chute d'eau, d'où ils pouvaient alors admirer dans le confort de la maison.
Le soir, pendant que les chauve-souris virevoletaient au-dessus de la rivière, une lampe au propane et quelques bougies procuraient les seuls éclairages de la maison.
Le parc de Sai Yok ne disposait pas d'un réseau électrique, mais plusieurs habitants possédaient leur propre génératrice. C'était le cas d'un voisin, dont la maison flottante à deux étages était amarrée à l'autre rive, qui faisait ronronner sa génératrice à chaque soir pour faire fonctionner un méga système de cinéma-maison et une machine à karaoké tonitruante… En Thaïlande, même dans un parc national, nous ne sommes jamais à l'abri du vacarme!
Mes hôtes, quant à eux, vivaient très simplement. Hormis leurs trois maisons et un bateau "à longue queue", ils n'avaient pratiquement aucune possession. L'ameublement se résumait en gros à une table basse, une lampe au propane, une radio, quelques matelas, quelques poêles et un portrait de Sa Majesté le roi de Thaïlande.
Contrairement aux abords de la rivière, la jungle du parc de Sai Yok était infestée de moustiques. Le répulsif ne semblait faire effet que pendant 30 minutes après chaque application. Ce fut une grossière erreur que de me lancer en randonnée portant des shorts plutôt que de pantalons longs…
Une grande partie du trajet étant en douce pente descendante, j'ai pu pédaler aisément en une journée les 105 km séparant le parc national de Sai Yok et Kanchanaburi.