Au matin, la gare de Phetchaburi était bondée. Sur le quai, une vieille dame d'au moins 30 ans mon aînée m'offrit sa place sur un banc et j'ai dû insister pour le refuser… Il s'avéra qu'elle et son mari allaient aussi à Hua Hin et ils me prirent sous leur "protection", même s'ils ne parlaient pas l'anglais.
Lorsque nous sommes montés à bord, le train de 3e classe était déjà surchargé. Des jeunes ont laissé leur banquette au couple âgé, qui à son tour m'y fit une petite place, coïncée entre les deux tourtereaux. J'étais un peu embarrassé, puisque les jeunes qui avaient occupé ce banc se tenaient maintenant debout…
L'espace était restreint, mais le trajet pour Hua Hin ne dura que 75 minutes. Dès l'arrivée, j'ai pu constater une grande différence par rapport à Phetchaburi. Gare plus élégante, présence de nombreux occidentaux. Même les rues semblaient plus proprettes.
Tout en cherchant un endroit pour la nuit, j'ai marché en ville, histoire de voir un peu l'allure de l'endroit. Plus commercial. En fait, Phetchaburi était aussi très commerciale; partout ça grouillait de marchandage. Mais à Hua Hin, il y a beaucoup plus de commerces de bebelles inutiles à l'occidentale. Et des restos italiens, français…
J'ai choisi une pension que le Lonely Planet décrivait comme "amicale", mais ce qu'on voyait en arrivant là, c'était le pub du rez-de-chaussée, avec ses gros messieurs accotés au bar, le patron débarquant avec ses gros sacs de golf, pendant que jouaient, coup sur coup, les chansons "American Pie" et "Born in the USA". J'appris plus tard que le patron n'était pas Américain, mais Canadien, de la Saskatchewan.
Ma chambre était impeccablement propre, mais je m'ennuyais déjà de l'hôtel miteux, bruyant et plein de geckos de Phetchaburi.
En fait, je dirais qu'il faut se méfier des villes au sujet desquelles les guides touristiques présentent une section "divertissement". "Divertissement" semble le plus souvent synonyme de "bar", "pub", ou autres conneries pour touristes, où on ne retrouve pratiquement aucun élément de la culture locale.
Alors qu'en débarquant à Phetchaburi je m'étais demandé: "dans quoi je me suis embarqué?", à Hua Hin, ma première réaction fut tout simplement: "beurk". J'ai malgré tout décidé de laisser une petite chance à Hua Hin de se faire apprécier, en y séjournant plus d'une journée. Et puis il n'est pas toujours désagréable de se tremper les pieds sur une plage au bord de la mer!
Il fallait tout de même que j'aille jeter un oeil sur le Golfe de Thaïlande, alors je suis allé me promener longuement sur la plage, peu de temps après mon arrivée à Hua Hin. Cette plage est assez vaste et pas trop achalandée, ce qui n'empêche pas de croiser, de temps à autre, un gros bonhomme flasque en speedo, au dos rougi par le soleil, accompagné d'une jeune Thaïlandaise qui a l'air de s'emmerder.
Malgré la vocation touristique de Hua Hin, on trouve encore de la bouffe authentique au marché Chatchai, un marché de nuit très vivant qui dessert surtout des Thaïs – car les Thaïs aussi viennent en grand nombre se prélasser à Hua Hin. Et les prix y demeurent raisonnables, si on n'a pas le look "homme d'affaires bientôt à la retraite et résidant au Hilton". Ainsi, deux hommes ayant mangé à côté de moi ont payé 500 baht pour trois assiettes, alors que la mienne m'a coûté 30 baht (j'avais d'ailleurs eu des craintes quant à ma propre addition, après les avoir vu débourser cette somme exagérée). Ils ont néanmoins réalisé une légère économie car, dans l'un des innombrables restos italiens que semblent apprécier les touristes, ils auraient autrement payé 300 baht chacun pour de la vulgaire pizza.
De plus, aucun de ces restos ennuyeux à air climatisé n'aurait offert le spectacle de cette joufflue mama thaïe suant à grosses gouttes, surchauffée par le feu rougissant sous ses grandes poêles, qui préparait en quantité industrielle de délicieuses omelettes aux fruits de mer!
Ce matin-là, j'ai dû soigner mes brûlures. C'est que la veille, lors de ma balade sur la plage ensoleillée, j'avais oublié d'appliquer de la crème solaire sur les pieds… et derrière les genoux! On ne peut pas penser à tout…
Je suis sorti à 5 heures, ce qui m'a permis d'observer les bateaux revenant s'amarrer au quai après de longues heures de pêche nocturne.
Même si le tourisme a ici largement surpassé la pêche comme moyen de subsistance, il reste une petite flottille de pêche à Hua Hin. Il est fort intéressant de flâner près du quai, où les gens s'affairent à trier le poisson ou à transporter de la glace dans les cales des navires à veille de repartir en mer.
Au départ de Hua Hin, le train fut en retard de 6 minutes, une excellente performance. Mais heureusement qu'il était en retard, car je l'étais moi-même de cinq minutes…
Prachuap Khiri Khan, la capitale de la province du même nom, est nettement moins touristique que Hua Hin et de plus petite taille. La rue qui traverse la ville, de la gare à la mer, était à moitié en sable, à moitié pavée (mais on y travaillait, en aménageant de jolis trottoirs de briques rouges et blanches).
Pour ma première nuit, j'ai choisi un vieil hôtel de bois situé près de la gare. La chambre y était plutôt ordinaire, disons. Les murs noircis n'avaient probablement pas été peints ou lavés depuis une quinzaine d'années, tandis que les draps étaient d'une propreté douteuse. Dans ce contexte, il était plutôt amusant de voir une pancarte d'interdiction de fumer. Au fond, me suis-je dis, il s'agissait probablement plus d'une question de sécurité, dans ce bâtiment de bois, que de propreté.
Il me sembla un peu étrange d'exiger une chambre avec salle de bain partagée, plutôt que privée, afin d'économiser l'équivalent de deux pauvres petits dollars, mais pour qu'un voyage dure longtemps, il est sans doute plus sage de compter dans la monnaie locale…
Le Khao Chong Krajok est un pic du haut duquel on profite d'une superbe vue sur la région et la baie de Prachuap.
Le Wat Thammikaram, qui se trouve à son faîte, présente toutefois peu d'intérêt. Les dizaines de macaques qui vivent sur la montagne sont nettement plus divertissants!
Après une seule nuit dans mon petit hôtel crasseux, j'ai déménagé mes pénates dans un autre hôtel, plus près de la mer.
Pour 3$ de plus, j'avais une chambre plus propre et confortable, et surtout une vue fabuleuse au lever du soleil! Cet hôtel semblait être un favori des camionneurs et autres travailleurs itinérants.
Juste avant d'aller au lit, j'ai savouré une excellente bouffe de fruits de mer au petit marché nocturne de la rue Chai Thaleh, d'où on a une vue sur la baie. Le poisson était délicieux; j'avais tout bonnement demandé à la jeune fille, qui parlait un peu l'anglais, de me servir son meilleur met.
De ma table au grand air, je pouvais observer, d'un côté, la flottille de pêche nocturne, chaque embarcation illuminée par de longs tubes fluorescents verts et, de l'autre côté, les feuilletons thaïs à la télé, dans lesquels ça braille sans bon sens et où l'on maltraite les filles sans honte.
Pour quelques jours, j'ai disposé d'un vélo, loué à un jeune homme travaillant comme cuisinier au restaurant se trouvant en face de l'hôtel. Chaque jour, lorsqu'il arrivait au boulot le matin, je pouvais lui emprunter sa bicyclette, que je devais lui rendre à 22 heures pour qu'il puisse rentrer chez lui.
Superbe bécane à un seul pignon, portant fièrement la mention "oversized tubing", pourvue de pneus sur-dimensionnés et sous-gonflés, de freins totalement inefficaces et, à l'avant, d'un joli petit panier trop fragile pour supporter autre chose qu'une serviette de plage. Tout était donc parfait, à l'exception de la selle, vraiment trop basse — j'avais presque les genoux au menton — que le gars a rehaussé pour moi de quelques maigres centimètres. Lorsqu'il enfourchait sa bécane, il ne pouvait plus atteindre les pédales que du bout des orteils, mais cette selle restait bien trop basse pour moi. Néanmoins, je ne pouvais abandonner cette idée de sortir un peu de la ville à vélo!
Lors de la négociation, il avait seulement été un peu difficile de faire comprendre que je ne m'en servirais qu'à partir du lendemain… Tout le personnel du resto était là pour essayer de conclure le marché… Le propriétaire du vélo, deux grand-mères, trois serveuses souriantes, une femme arrivée en Mercedes qui semblait être la patronne (et qui essaya prestement de tout prendre en charge), et même l'agent de sécurité de l'hôtel…
Avec mon super vélo loué, je me suis rendu à Ao Bang Nang Lom, un petit village situé presqu'à l'extrémité nord de la baie de Prachuap. Sur toute la longueur du chemin jusqu'à cet endroit, on côtoie la baie. Entre la mer turquoise et la route, il n'y avait qu'une plage, deux ou trois rangées de pins et, ici et là, un restaurant de fortune. Partout en Thaïlande, même dans un coin de pays tranquille comme celui-ci, il n'y a jamais à craindre de crever de faim, puisque tout le monde est entrepreneur et qu'on pourrait croire qu'au moins la moitié des entreprises concerne la bouffe!
À Ao Bang Nang Lom, je me suis arrêté à un endroit où six hommes s'affairaient à construire un grand bateau de pêche en bois, construit selon les techniques traditionnelles. Ils étaient très souriants, chantaient en travaillant, accompagnés du cognement de leurs marteaux. Ils m'ont offert de grimper sur l'échafaudage pour jeter un oeil à l'intérieur de la coque, profonde d'environ 3 mètres et longue d'environ 15 mètres. Tout l'intérieur était frais peint de couleur rouge vif. Malgré le bruit assourdissant des cognements sur le bois, un homme y dormait profondément, dans un hamac suspendu à la charpente intérieure de la coque. Les ouvriers semblaient maintenant travailler à l'étanchéité de la coque; avec un ciseau à bois et un marteau, ils écartaient les larges planches, puis calfeutraient la mince fente ainsi créée.
Le site constituait un atelier paradisiaque. Bien sûr, il n'y avait pas l'air climatisé. Sur ce chantier, les grands pins formaient la seule protection contre le soleil et les rares intempéries. On y travaillait dehors, presque sur la plage, pendant que sur les eaux turquoises de la baie naviguaient quelques clients dans leurs bâtiments colorés. Les bateaux paraissaient tous identiques, mais l'agencement de couleurs éclatantes semblait bien unique à chacun.
Une petite route me conduit à Ao Noi, un village très pittoresque donnant sur une baie du même nom. Le village paraissait à l'étroit, coïncé entre la mer et une falaise.
Entre les cabanes du village, au bout des allées étroites, je pouvais voir la mer, mais je n'osais pas trop m'aventurer dans ces passages, ne sachant pas trop ce qui était considéré comme une voie "publique" ou un chemin "privé". Et puis mon camouflage roulant (vieux vélo primitif) ne fonctionnait pas tout à fait, car tout le monde me fixait, bien que ce fut la plupart du temps avec un sourire s'agrandissant en réponse à mon propre sourire. Ceux qui ne souriaient pas semblaient juste neutres, pas méchants…
Malgré cette joie de vivre exubérante, je n'ai pas osé pénétrer ces étroites allées n'offrant aucune intimité à leurs habitants, alors j'ai repris la route, ce qui m'amena à Ao Khan Kradai, une autre baie superbe, elle aussi avec sa plage, sa flotte de pêche et ses massifs de calcaire à chaque extrémité. Tout près se trouvait le Wat Khao Tham Khan Kradai, un monastère où on construisait plusieurs bâtiments, dont un somptueux pavillon de bois sculpté. Il est rare de voir une construction nouvelle faite de bois en Thaïlande, puisqu'il y est interdit de couper le teck, bois de construction traditionnellement utilisé. Les rares nouvelles construction de teck sont normalement faites de bois importé ou récupéré de bâtiments démolis.
Je me suis assis aux abords de la baie Khan Kradai. À gauche, au loin, des pêcheurs réparaient leurs filets. À droite, au loin, quelqu'un semblait me fixer.
J'observais des nuées de libellules et papillons virevoletant dans les hautes herbes alentour, lorsque soudainement surgit face à moi la personne qui était à l'instant encore loin à ma droite. On se sourit, puis la jeune femme vint s'asseoir à côté. Je dis "suay" en montrant la baie, ce qui signifie "beau" – à condition de ne pas oublier la tonalité ascendante, car avec une basse tonalité, "suay" signifie "malchance". Ce fut ensuite un de nos mots les plus utilisés, car elle ne parlait pas mieux l'anglais que moi le thaï.
J'ai quand même pu comprendre qu'elle avait 25 ans et qu'elle s'appelait Awlathaï. Elle pointa du doigt de petits pavillons bouddhiques sur la colline voisine, qui paraissaient accessibles grâce à un escalier abrupt. Avant de commencer l'ascension, elle discuta avec un moine du Wat Khao Tham Khan Kradai, au pied du long escalier, qui abaissa un interrupteur situé sur le mur extérieur d'une cabane. J'ignorais à quoi servait cet interrupteur, mais il sembla qu'après cela nous pouvions entâmer l'ascension. Une autre personne se joignit à nous, la petite soeur de Awlathaï, ou une amie plus jeune – je ne pouvais trancher, car en thaï le meme mot désigne les deux.
Il faisait très chaud lors de la montée. Si chaud que même les deux jeunes femmes suaient, elles qui étaient pourtant Thaïes et acclimatées! Heureusement, j'avais amené de l'eau et tout le monde en profita.
Sur la colline, les lieux sacrés étaient jolis, avec des sculptures usées par le temps. Il ne s'agissait de rien de comparable aux riches et grandioses temples de Bangkok ou à l'ancien palais royal de Phetchaburi. On a continué l'escalade… jusqu'à une grotte! Cela m'expliqua l'interrupteur: à l'intérieur étaient installés quelques tubes fluorescents pour qu'on y voie un peu. Peu profondément dans la caverne se trouvait, tout blanc, un imposant bouddha étendu. Plus loin, alors qu'on commençait à se sentir réellement sous terre, se trouvait une belle "armée" de bouddhas assis. Du haut de la voûte, une petite ouverture laissait entrer une lumière dansante, qui se faufilait entre des feuilles d'arbres agitées par le vent.
Plus au fond encore se trouvait la salle des chauve-souris, qui poussaient de petits cris. De temps à autre, l'une d'elles décrochait du plafond pour aller en déranger une autre, mais la plupart semblaient préférer faire la sieste.
Après la visite de la grotte, Awlathaï et sa soeurette m'ont amené nourrir des poissons gloutons dans un bassin du monastère, puis prendre une bière dans leur village d'Ao Noi. Cette fois, j'ai pu me balader dans ces allées étroites que j'avais évitées plus tôt dans la journée… Mais ma présence semblait ne laisser personne indifférent et chacun y allait de sa boutade à l'intention d'Awlathaï.
Nous avons bu une Beer Chang dans un simulacre de pub sur pilotis, avec murs de plywood et de toiles de plastique, plancher de bambou et toiture de tôle trouée. Puis je suis reparti sur ma bécane avant le coucher du soleil, emportant un message d'Awlathaï: deux lignes écrites en thaï…
À l'hôtel, j'ai consacré quelques heures au décodage de son message. Elle semblait me demander de revenir la voir, si je le pouvais.
Le lendemain, j'ai donc enfourché de nouveau le vélo pour retourner à Ao Noi, où Awlathaï paru bien contente de me revoir. Elle avait même préparé quelques questions en anglais pour moi. On a passé l'après-midi au pub et j'ai découvert qu'elle y travaillait, bien qu'elle soit originaire de l'Issan, le nord-est de la Thaïlande. Nous avons tenté de s'enseigner nos langues respectives (d'accord, l'anglais n'est pas ma langue "respective", mais c'est parce que le français, en Thaïlande, ça ne compte pas)…
Ce contact fut extrêmement enrichissant et amusant, bien qu'épuisant! C'était ma première "prof" depuis mon départ de Bangkok, alors ça m'a remonté le moral, puisque je devenais déprimé, à la longue, de ne pas pouvoir communiquer et de ne constater aucune progression dans mon auto-apprentissage. Vers la fin de l'après-midi, avant mon départ, on a réussi à s'entendre pour le lendemain: nous devions visiter ensemble un petit parc naturel situé à l'est d'Ao Bang Nang Lom, un parc que j'avais repéré lors de ma première randonnée à vélo.
Le matin, de nouveau en route pour Ao Noi, j'ai aperçu un gars qui essayait d'ouvrir une bouteille de bière en appuyant le bouchon sur le coin d'un muret de béton. Puisque sa technique ne semblait pas fonctionner, je suis intervenu avec mon couteau suisse pour l'aider. Il était drôlement content et, trop généreux, m'a forcé a boire de sa bière… Il n'était que 9h30! "Dink dink!" qu'y disait (ils ont vraiment un problème avec les "r" :-). J'ai presque regretté ma bonne action, car il ne m'a pas laissé repartir facilement!
Une fois arrivé à Ao Noi, une amie d'Awlathaï (qui parlait mieux l'anglais) m'a expliqué que la "mère" (en fait la tenancière du pub) ne permettait pas qu'Awlathaï parte avec moi, parce que ce n'était pas convenable qu'une jeune femme parte ainsi, seule avec un étranger. Ce langage maternel me surprit, mais j'ai néanmoins gobé l'explication. Et puis je savais que la véritable mère d'Awlathaï était décédée, alors je me disais que celle-ci la remplaçait peut-être…
On a donc passé encore quelques heures au pub à étudier et prendre un petit lunch (sorte de soupe froide avec glace). Puis, vers 14 heures, à la demande d'Awlathaï, l'amie douée pour l'anglais revint, cette fois pour m'expliquer qu'Awlathaï devait maintenant travailler et que son travail au pub consistait en fait à "boire avec les clients, chanter au karaoké avec eux, prendre soin d'eux", le tout payé à l'heure. Elle me demanda si je trouvais Awlathaï jolie (affirmatif), puis m'offrit de "passer du temps avec elle", tout en me montrant du doigt ce qui pouvait ressembler vaguement à des chambres…
Comme j'ai été naïf et aveugle! Bien sûr, seules des filles travaillaient dans ce semblant de pub, et chacun sait que bien des pubs en Thaïlande ne se contentent pas de servir de la boisson. Mais quoi, dans ce minuscule village? Une fille si réservée? Et bien sûr, dans ce contexte, que la patronne ne veut pas que son employée parte avec moi!
D'après le Lonely Planet, 75% des hommes thaïs adultes utiliseraient les services d'une prostituée en moyenne deux fois par mois. Et voilà pourquoi je suis tombé là-dessus, même dans un si minuscule village. Le plus gros de la prostitution au pays ne serait pas celle qui s'adresse aux touristes, même si celle-ci semble causer plus d'émois. En observant plus attentivement, ont peut constater que même les plus petits des villages de Thaïlande oubliés par les touristes possèdent leur bar à karaoké, servant souvent de façade pour la prostitution. De plus, une grande part de la prostitution dans le pays reste invisible, comme dans le cas de ces "maîtresses" qui se font payer un condo ou une allocation mensuelle par une poignée de clients réguliers.
Abasourdi, j'ai expliqué à Awlathaï, par l'entremise de son "amie", que je préférais l'amitié aux services payés et que je ne payerais pas pour un semblant d'amitié ou pour autre chose. Elle répondit qu'elle voulait aussi être amie. Si je le désirais, je pouvais continuer à la voir entre 6 heures et 14 heures, comme lors des deux jours précédents, en ami et sans payer. Donc pendant ses rares heures de sommeil? Troublé, je ne retournai plus à Ao Noi par la suite.
Plusieurs jours plus tard, à Bangkok, je fis traduire par une connaissance le dernier mot que m'avait écrit Awlathaï: "Je préfèrerais ne pas faire un travail comme celui-ci, mais puisque ma famille est très pauvre, je dois le faire".
Ce matin-là, la douche froide ne me tentait pas beaucoup! (Ici, l'eau chaude n'est disponible que dans les chambres de luxe). Avant même de la prendre, j'étais déjà frissonnant. Les deux jours précédents, j'étais affaibli par de la fièvre et des maux de tête.
Malgré beaucoup de repos, ma température a atteint 39°C, alors j'ai commencé à m'inquiéter. Bii, un employé de l'hôtel arborant une "coupe Longueuil", m'a transporté à l'hôpital Thonburi Khirikhan, sur sa moto. L'hôpital en était un de rêve, surprenant pour une si petite ville. Il n'y avait là aucune file d'attente, ni même aucun malade en vue (peut-être les "locaux" n'ont-ils pas les moyens de se payer les soins?). C'était paisible comme une maison de campagne et les infirmières étaient si gentilles et ravissantes qu'elles donnaient presqu'envie d'y faire un séjour. Elles portaient toutes un costume blanc très "années 50", avec le petit chapeau classique d'infirmière de l'époque. La communication avec l'infirmière et le médecin n'était pas des plus fluides, mais on finissait par se comprendre. Bii aidait parfois aussi, et j'avais pris soin d'apporter mon phrasebook, qui se révéla enfin utile.
Finalement, on m'a prescrit des antibiotiques pour une infection à la gorge, vraisemblablement causée par la bouffe. J'ai aussitôt soupçonné cette soupe glacée prise à Ao Noi, dans ce fameux pub à l'hygiène discutable.
Pour deux ou trois jours, je n'ai eu aucune énergie le matin et cela exigeait un grand effort pour bêtement sortir manger, dehors sous cette habituelle chaleur écrasante. Tout cela pour une pauvre petite infection à la gorge? Sans un médecin, je ne m'en serais jamais douté, car je ne ressentais rien de particulier à ce niveau. J'espérais ne pas avoir un autre problème que le médecin n'aurait pas vu. Peut-être une carence en corn flakes, me suis-je dis…
Au marché, j'avais acheté un tas de bananes dont le goût me déplut (il doit y avoir une bonne vingtaine de variétés de bananes en Thaïlande). J'ai donc décidé d'offrir ces bananes aux macaques du Khao Chong Krajok. Il y avait justement là un endroit, au pied de la colline, désigné pour les nourrir, bien que les singes eux-mêmes ne se limitaient pas toujours à cet endroit…
Alors que j'approchais du site, avec à la main un sac de plastique lourd de bananes, deux ou trois singes s'approchèrent, l'air de rien. L'un d'eux se précipita soudainement vers moi, sauta sur le sac puis, craintif, lâcha rapidement prise avant de déguerpir. Avant même que j'aie eu le temps de réagir, un second singe imita le geste, puis un troisième. Ce dernier étant plus costaud que les deux autres, la poignée du sac céda sous son poids et les bananes s'éparpillèrent sur le sol.
Ceci déclencha instantanément une avalanche de singes, surgis de je ne sais où, se disputant la précieuse denrée et, le temps d'un battement de paupière, toutes les bananes furent emportées. Dans les arbres, certains macaques gros et gourmands, qui avaient en leur possession plusieurs bananes, s'efforçaient de les avaler au plus vite, avant que d'autres ne puissent tenter de gâcher leur festin.
Moi qui avait voulu gentiment distribuer ces bananes une par une, tout en donnant une chance aux plus faibles…
Le bord de mer de Prachuap Khiri Khan n'a pas été réclamé par les touristes et leurs hôtels. L'endroit semble impropre à la baignade, ce qui a sans doute épargné la ville et la belle baie du fléaut des immenses resorts.
Pour la baignade, on peut se rendre à Ao Manao, une jolie baie située à environ 4 km plus au sud, sur le site d'une petite base aérienne militaire qui ressemble à un camp de vacances. Pour entrer sur la base, on doit signer un registre de visites et laisser son passeport à un officier. En chemin vers la plage, il s'agit de porter attention à l'unique feu de circulation, qui autorise ou non à traverser la piste d'atterrissage…
Au café Internet de Prachuap Khiri Khan, pendant que j'envoyais mes multiples complaintes à l'autre bout du monde, un inconnu, occidental, est entré et m'a étonné en me demandant: "Are you the guy from Canada?"
C'est qu'il avait par hasard rencontré un ami à moi à l'auberge de jeunesse de Bangkok et, après avoir dit à ce dernier qu'il se dirigeait vers Prachuap Khiri Khan, cet ami lui avait alors mentionné que je me trouvais là. Bref, quand Paul, de son nom, est entré dans le café, il a supposé que j'étais le gars qu'on lui avait mentionné, puisqu'on ne croise pas tellement d'occidentaux à Prachuap!
Paul et moi avons donc fait connaissance autour d'une bouffe au marché nocturne situé au centre de la ville. Paul n'était pas Canadien, mais Hollandais. Il fut enchanté de découvrir que tous les Canadiens n'approuvent pas la politique étrangère des États-Unis, bien que le gouvernement canadien s'aligne presque toujours sur ces derniers…
Après des discussions des plus variées, nous avons décidé de visiter le parc national de Khao Sam Roi Yot, situé à environ 50 km plus au nord. Le lendemain matin, nous avons donc loué une petite moto 100cc pour nous y rendre.
Après une heure de route et un bref arrêt aux quartiers généraux du parc (desquels Paul est sorti en disant que si les femmes de son pays pouvaient sourire ainsi, son moral serait toujours excellent!), nous nous sommes dirigés vers la grotte de Phraya Nakhon, supposément la plus belle du parc, avec un temple bouddhique à l'intérieur — comme à l'intérieur de toutes les grottes thaïlandaises, pourrait-on croire!
Pour s'y rendre, il fallait d'abord monter par un sentier assez abrupt mais court, puis descendre à la plage de Laem Sala, puis remonter sur un autre sentier, jusqu'à l'entrée de la grotte. Il ne faisait pas un soleil de plomb, mais ça ne nous a pas empêché d'en suer un coup.
Ces sentiers n'étaient pas les plus fabuleux, mais néanmoins intéressants, avec criquets, lézards, oiseaux (plus entendus que vus) et même, au retour, quelques singes comiques avec des "lunettes" blanches autour des yeux.
Après la grotte, le sommet! Un sentier très abrupt nous permit d'atteindre le sommet du Khao Daeng (322 mètres). Malheureusement, nous sommes redescendus assez rapidement, car nous ne voulions pas rentrer à la noirceur, considérant tous les obstacles que pouvait nous réserver la route: trous, bosses, chiens errants, conducteurs roulant à contresens tous phares éteints, pour n'en nommer que quelques uns.
Le parc de Khao Sam Roi Yot fut une légère déception. Il bénéficie d'un statut de parc national, mais beaucoup de gens vivent pourtant sur le site et en exploitent abondamment les ressources. Il ne subsiste pas grand chose des marécages naturels sensés attirer des milliers d'oiseaux, car une grande partie de ces marais a été convertie en bassins d'eau salée, consacrés à l'élevage des crevettes. Les responsables du parc affirment vouloir restaurer les marécages mais, visiblement, ce sera une tâche herculéenne!
Pour y parvenir, ils auront des milliers de digues à détruire, des ordures à ramasser, des plantes à planter, des gens à évacuer. De plus, les effets des nombreux produits chimiques employés pour l'élevage des crevettes risquent de se perpétuer encore longtemps. C'est pourquoi on peut être pessimiste. Tout cela rappele que la Thaïlande, malgré son développement relatif, n'a pas les moyens d'un pays comme le Canada. Et peut-on vraiment refuser à une population pauvre d'essayer de survivre?
Après cette journée sans anicroche, nous avons eu une crevaison sur le chemin du retour, à la tombée de la nuit — nous étions déjà un peu en retard. Paul semblait agacé ("this is really bad", avait-il dit), mais sans toutefois s'énerver. J'ai répliqué que ça aurait pu être pire! Par exemple, nous aurions pu avoir une crevaison le matin, ce qui aurait ruiné notre journée. De plus, nous étions à seulement 500 mètres d'un garage… qui hélas s'avéra n'avoir même pas de quoi gonfler un pneu!
Par la suite, deux jeunes hommes en camionnette se sont arrêtés, nous sommes montés à l'arrière avec la moto et ils nous ont reconduit à Prachuap Khiri Khan (mais seulement après un peu de communication ardue, car ils avaient d'abord voulu nous amener dans la direction opposée, pour réparer la crevaison). Arrivés à l'hôtel, les deux gars nous ont montré la jauge à essence de leur camionnette, dont l'aiguille était tombée en-deça du "E"… Même si, dès le début, ils avaient clairement indiqué ne pas vouloir d'argent, nous leur avons offert 200 baht qui ont paru les réjouir. Ils avaient tout de même fait un détour de 50 km pour nous!
Au fond, la crevaison fut une bonne chose, car elle nous a épargné la conduite nocturne, de même qu'une longue route avec sur la tête un casque merdic qui faisait mal. Mon crâne semble plus long et plus étroit que chez les Thaïs en général, puisque tous les casques essayés au magasin de motos étaient trop serrés à l'avant et à l'arrière, avec un bon jeu sur les côtés! Il en était de même pour Paul, ce qui m'avait un peu rassuré quant à la normalité de mon crâne!