Le plateau de Khorat couvre la majeure partie de l'Issan (nord-est de la Thaïlande). La vaste région, particulièrement chaude et aride à cette période de l'année, englobe plusieurs provinces, dont celles de Nakhon Ratchasima, Buriram, Surin et Ubon Ratchathani, que je devais parcourir à vélo. Là, dans ce qui jadis se faisait appeler le « Haut Cambodge », on peut découvrir plusieurs ruines de sanctuaires khmers majestueux.
Au nord-est de Nakhon Ratchasima, à moins de 5 km de la route 2, se trouve le Prasat Hin Phanomwan. Ce sanctuaire d'origine khmère est un curieux amalgalme de blocs qui paraissent de provenances et d'époques disparates, et qui ne s'emboîtent pas toujours parfaitement bien! Mauvaise reconstitution par des archéologues amateurs?
Le Prasat Hin Phimai, un majestueux sanctuaire khmer admirablement restauré durant les années soixante, fut envahi dès 9h30 par plusieurs groupes de visiteurs Thaïs et occidentaux. Heureusement arrivé sur place dès l'aube, j'avais pu savourer pendant quelques heures paisibles l'atmosphère mythique du lieu.
La précocité de ma visite fut d'autant plus satisfaisante qu'elle m'a permis, pour un moment, d'éviter les groupes de jeunes visiteurs Thaïs, dont l'attention semblait souvent tournée plus vers moi que vers les monuments millénaires! Pas de quoi favoriser la contemplation! Pourtant, nombres de touristes occidentaux vinrent aussi sur le site, qui de toute évidence fait partie des grands circuits touristiques.
Le Prasat Hin Phimai rappelle par son architecture le célèbre Angkor Vat, au Cambodge, mais il lui est antérieur, ayant été complété dès le début du XIe siècle.
Le jardin du Sai Ngam a pour principale attraction un banian géant âgé de 350 ans, étendu plus en surface qu'en hauteur, sous les branches duquel ont été aménagés des sentiers. Plutôt qu'à un arbre unique, les multiples troncs laissent croire à une forêt aux arbres particulièrement enchevêtrés!
Puisque les clients sont souvent des réguliers des environs, la popote de bord de route est généralement aussi bonne que n'importe où ailleurs, mais ici, en bordure de la route 2163, le cuistot m'a servi l'omelette la plus cuite qu'il m'ait été donné de manger, avec un riz saupoudré de petites fourmis recroquevillées que je m'efforçais d'enlever lorsqu'il avait le dos tourné (afin de ne pas l'offusquer)…
Dans le réservoir artificiel de Thung Laem, situé à 4 km au nord de Nang Rong, des balises faites de brindilles et de bouteilles de plastique tronquées permettent aux pêcheurs de retrouver leurs filets, qui sont ancrés de manière à emprisonner les poissons.
Entre Huai Thalaeng et Nang Rong, j'ai pris le risque d'emprunter des pistes non pavées et non identifiées. Je me suis bien rendu à Nang Rong, mais non sans demander les directions à des gens une bonne dizaine de fois! Tout ces gens furent très gentils, à l'exception d'un seul, occupé à gosser un bout de bambou, qui s'est borné à l'indifférence. Cet itinéraire n'était probablement pas plus court, mais certainement plus agréable que les routes 226 et 2073 que j'aurais autrement empruntées, plates, rectilignes, monotones, bordées de détritus.
Ces pistes, au contraire des grandes routes, étaient étonnamment propres, comme quoi les locaux, leurs seuls utilisateurs, prennent soin de leur environnement.
Dans le secteur du Prasat Ta Meuan flottait une atmosphère des plus étranges. Après Ban Ta Miang, dernier village avant la frontière cambodgienne, on traverse sur 5 km une sorte de « No Man's Land », des terres semi-cultivées où règne un inquiétant silence de mort. La route y est large comme une autoroute mais ne mène pourtant nulle part. La ruine la plus reculée (et la plus proche du Cambodge), Prasat Ta Meuan Thom, est un curieux assemblage lézardé, aux allures d'un casse-tête de pierres inachevé… Il y avait là un groupe de cinq moines novices qui me fixaient lourdement, sans dire mot. Ils ne paraissaient pas particulièrement sages… J'ai aussi croisé des militaires en civil, qui jogguaient sur la large route. Ceux-ci étaient guère plus bavards que les jeunes moines, mais au moins souriaient… Préférer les militaires aux moines? Ça arrive!
Parfois des chiens, et même des petits chiots, sortaient de la forêt, comme surgissant de nulle part. Étaient-ils sans maîtres? L'affirmative ne serait pas étonnante en ce pays, mais il est plus courant de voir les chiens errer près des humains. La forêt cache peut-être plus d'habitants qu'on pense…
Surtout ne pas s'imaginer que se faire adresser des « hello! » signifie que les « saluteurs » n'ont presque jamais vu d'occidentaux… Ceux qui en ont rarement vus ont plutôt d'autres réactions, telles que figer raide ou pouffer de rire. En fait, ceux qui saluent, notamment les enfants, sont tout bonnement affligés d'un curieux automatisme déclenché par la simple vue d'un farang! Ceci dit, c'est tout de même amusant quand trois bambins s'alignent au bord de la route à notre passage pour nous bombarder de « hello! » et de grands sourires.
C'est la saison des éphémères. Récemment il y en avait un peu à Bangkok, mais à Khong Jiam, ce sont de vastes nuées qui virevoltent partout. Ces insectes sont fort semblables aux « mannes » qui surgissent chaque début d'été à Montréal, sur les eaux du Saint-Laurent.
Ici, ces insectes ne sortent qu'entre 18 heures et 19 heures, avec une apothéose incroyable à 18h30. Sous chaque lampadaire illuminé du village se forment des colonnes d'insectes hautes de plusieurs mètres. J'ai pu fort bien observer le phénomène, car c'est précisément cette heure-là, n'écoutant que mon estomac, que j'avais malencontreusement choisie pour aller manger… Les éphémères me tinrent compagnie durant le repas, plongeant dans mon t-shirt, dans ma chevelure, dans mon riz… Vers 18h45, les employés du petit resto eurent la lumineuse idée d'éteindre la plupart des tubes fluorescents du local, une source lumineuse que semblaient particulièrement affectionner les éphémères…
Les insectes surabondants faisaient tout de même des heureux: les petits geckos, qui se tapaient un festin encore plus opulent que le miens!