Continuant à remonter le Mekong à vélo, c'est avec un petit pincement au coeur que j'ai quitté l'attachant village de Sangkhom et la province de Nong Khai. J'entrais à présent dans celle de Loei, plus sauvage et montagneuse.
Les Thaïs adorent les chutes d'eau. Mais parce qu'ils semblent les aimer pour la baignade plus que pour le spectacle, la chute de Than Thip n'a pas été laissée dans son état naturel: on y a érigé de petites digues de béton afin de créer au pied de la chute un bassin plus propice à la baignade.
La fin de la mousson approche et le niveau du Mekong descend un peu plus à chaque jour. Si bien que les paysans ont déjà entrepris de labourer et d'ensemencer les riches boues laissées sur les rives libérées des flots.
Plus on avance vers l'ouest le long du Mekong, plus les paysages deviennent grandioses! Entre Sangkhom et Pak Chom, le relief devient un peu plus accidenté et les environs paraissent plus sauvages. Ce faisant, la route 211 traverse une série de petits villages mentionnés sur aucune carte. Il doit bien y avoir une dizaine villages sur les 65 km séparant Sangkhom et Pak Chom! Dix petits villages très modestes, avec leurs maisons de bois, leurs enfants lançant des "hello", et toujours le Mekong, tout près.
Il est très intéressant d'observer les nombreuses activités agricoles de la région. Bien sûr, il y a beaucoup de riz et de bananes, mais aussi d'autres variétés de fruits. On voit même des petites plantes cultivées jusqu'au bord de l'asphalte de la route! Les cultures varient selon l'inclinaison du terrain, le riz occupant les terres les plus plates, et les bananiers les pentes les plus abruptes, celles où on ne semble pas savoir quoi mettre d'autre.
Malgré les interdictions de coupe, la forêt est également exploitée, bien qu'il ne reste plus beaucoup d'arbres valables!
Quant à la pêche, une multitude de techniques sont déployées, de la canne à pêche au filet semi-permanent qu'on vient inspecter plusieurs fois par jour à bord d'une petite pirogue. Une fois, j'ai longuement observé un pêcheur pour savoir ce qu'il pouvait tirer de ces filets, mais à chaque fois il sortait de l'eau un filet vide… Faut être patient!
Enfin, il est facile d'oublier l'élevage, tellement les poulets sont omniprésents, même en ville, où ils se nourrissent souvent à même les ordures… Le gros bétail est toujours attaché ou surveillé plutôt que placé dans un enclos. À chaque jour on amène les vaches là où y'a de quoi brouter (que ce soit à l'avant du poste de police, dans la cour de l'école, ou sur le bord de la route)… Le buffle d'eau, lui, est plus rarement aperçu en ville, car il a besoin de boue dans laquelle se vautrer!
Chaque matin, personne ne peut échapper aux dernières annonces politiques, diffusées par des haut-parleurs installés dans les rues de Chiang Khan. Ça commence tôt et culmine à huit heures tapantes avec l'hymne national du pays. Ceci n'est pas unique à Chiang Khan mais caractéristique des petites villes à travers tout le pays! Un Thaï m'a indiqué qu'il ne s'agissait pas de propagande gouvernementale mais d'informations qui intéressaient les citoyens…
Lorsqu'on longe le Mekong, on ne fait que côtoyer timidement un monde de collines et de montagnes. C'est à l'ouest de Chiang Khan, par la route 2195, qu'on entre véritablement dans ce territoire accidenté et isolé.
Aux abords de cette route peu fréquentée, les habitations sont nettement plus éparses que dans la vallée du Mekong. Ci et là, des plantations de bananiers s'aggrippent aux flancs de montagnes, tandis que des rizières se faufilent entre les collines.
Après quelques dizaines de kilomètres de montées et de descentes de collines sans rencontrer de village, mes réserves d'eau étaient déjà épuisées lorsque j'arrivai à Nong Pheu, au bout d'un cul-de-sac de 4 km, où j'ai pu faire le plein d'eau de pluie tirée d'une grande citerne bordant la maison-magasin-général. Je me suis ensuite restauré dans un petit bouiboui surplombant un poste frontalier rudimentaire, où des tas de gens allaient et venaient du Laos, de l'autre côté de la rivière Heuang. La courte traversée s'effectuait à l'aide d'un petit bac toujours bien chargé de marchandises de toutes sortes. Alors que l'autre rive ne semblait être que jungle, ce va-et-vient continu avait de quoi étonner!
Arrivé à Loei, la capitale provinciale, goûter de nouveau à la civilisation faisait plaisir. Une vraie ville comme je les aime, pleine de vie, avec ses petits marchés joyeusement achalandés! Cela me changeait des villages paisibles habités surtout par des vieux et des enfants. Car c'est désormais dans les villes que les jeunes dans la vingtaine tentent de bâtir leur avenir.
C'est vraiment amusant que d'aller au marché et piger de la bouffe par-ci, par-là, dégustant un peu de tout. Et puis il y a les odeurs; dans les villages, on ne retrouve pas souvent toutes ces odeurs, bonnes et mauvaises, réunies ensembles!
Même si Loei est bien vivante, elle se couche tôt! À 20h30 la plupart des boutiques étaient déjà fermées. Celles qui ne l'étaient pas semblaient en voie de l'être, à l'exception de quelques restos et de l'inévitable 7-Eleven.
J'ai profité de mon passage en ville pour me payer un peu de "luxe": une vraie chambre d'hôtel avec salle de bain privée! Le plus étonnant avec cette chambre un peu vieillotte fut d'avoir une télé avec TV5, grâce à laquelle j'ai pu écouter le Téléjournal avec Stéphane Bureau!
Puis je me suis retrouvé regarder MTV Asia, qui en réalité n'a pas grand chose d'asiatique. Il y a bien quelques animatrices asiatiques, mais celles-ci monologuent seules devant un blue screen sur lequel on appose de quelconques images numériques "cool". Coûts de production: minimaux! Le reste n'est que ce que l'Amérique a de pire à offrir: un "boys band" ou un "girls band", quelques danseuses et danseurs, des nombrils bien visibles, des images léchées, on brasse le tout et hop! Ah oui, et quelques notes de musique avec ça, sur fond de paroles sirupeuses. Il y eut cette longue émission (américaine), animée par un très savant panel de juges bien branchés qui analysaient le style vestimentaire des différentes vedettes (américaines) présentes lors d'un quelconque gala (américain). L'une des juges m'apprit la clé du succès: « Leather is hot! Hats are out! ».
Côté actualité, les journaux thaïlandais de langue anglaise continuaient d'évoquer l'attentat du World Trade Center et le terrorisme, probablement aussi amplement que les publications occidentales. Observation intéressante faite dans un éditorial de l'excellent Bangkok Post: « The United States believes that it's culture, characterized by freedom, democracy and capitalism, is universal ».
Près du village de Phu Reua, j'ai fais escale pour la nuit au Phu Reua Resort, un endroit inespéré et des plus confortables, en bordure de la route 203. J'avais là un bungalow charmant donnant sur un ruisseau en cascades et un joli paysage de champs et de montagnes. Confort ultime: l'eau chaude!
Le village étant situé quelques kilomètres plus loin, j'ai décidé de manger sur place. En m'asseyant dans la salle à manger, j'appréciai le calme ambiant jusqu'à ce que mes hôtes s'empressent d'allumer la télé — car on ne laisse jamais la télé éteinte en présence de clients, même d'un seul client! Cette fois, j'ai pu voir des clips thaïlandais. Ayant analysé MTV Asia la veille à Loei, je n'ai pu que comparer et conclure que les clips thaïlandais sont mille fois plus intéressants! La plupart racontent vraiment une histoire, avec des personnages, une intrigue et un dénouement pas toujours rose.
Bien sûr, la qualité de production laisse parfois à désirer; question de budget sans aucun doute. L'un de ces clips superposait les musiciens à un quelconque paysage exotique (le Grand Canyon, entre autres) au moyen d'un montage qui ne tenait pas vraiment la route, ce qui donnait un résultat involontairement comique…
La montée du Phu Reua à vélo fut un peu chiante, car le ciel portait un voile blanc brumeux bloquant la vue, alors que l'une de mes motivations à gravir cette montagne était d'avoir un point de vue sur les alentours…
Plus je montais, moins j'y voyais. Et plus je montais, plus je suais. Ainsi, bien avant d'avoir atteint le sommet, ma casquette fut mouillée jusqu'au bout de la visière! Les derniers 4 km (entre le poste d'accueil et le sommet), très abrupts, ne furent récompensés que par l'impression de flotter dans les nuages tellement on n'y voyait que du blanc.
Après avoir longuement attendu au sommet dans l'espoir d'une éclaircie, je suis finalement redescendu, me rendant au poste d'accueil "numéro 2" par un chemin de terre fortement érodé. Face au piètre état du chemin et à l'absence d'autres visiteurs, je commençai à douter des renseignements que j'avais reçus d'une préposée du parc, qui m'avait assuré de la présence d'un restaurant. Heureusement, il y eût bien sur place une cuisinière. J'ai même pu emprunter une couverture pour la nuit, puisque les nuits peuvent être fraîches par ces hauteurs.
Une randonnée pédestre dans la forêt du Phu Reua fut marquée par l'expérience peu rassurante d'entendre des coups de feu tout près, puis de croiser le chasseur sur le sentier (dans un parc national!). Dans un tel cas, il faut toujours espérer que le chasseur sait où il tire, ce dont je doutais, ayant moi-même repéré l'homme bien avant que lui ne me voie. Au passage, je lui ai demandé s'il était seul (cette question, on apprend vite à la formuler en thaï, puisqu'on se la fait poser continuellement!). Par bonheur, il était seul, alors je saurais au moins d'où le danger viendrait, jusqu'à ce que je sois loin du secteur…
Sur un tronçon plus paisible du sentier, entre des bouquets d'herbes hautes, j'ai aperçu à deux reprises ce que le chasseur aurait sûrement aimé voir: des spécimens d'une sorte de poule des bois, qui restaient figées sur place en ma présence, mais qui décollaient en battements d'ailes bruyants lorsque je m'approchais un peu trop. Leur plumage se fondait à merveille dans l'environnement et je ne serais pas étonné d'avoir marché tout près d'autres poules du genre sans même les voir!
Équipé d'une carte des sentiers très approximative et sans repères (reçue au poste d'acceuil du parc), me fiant à quelques indications le long des sentiers ou, aux intersections non identifiées, à mon instinct, et interrogeant même un homme qui gardait quelque bétail, j'ai vainement cherché l'introuvable belvédère du Phu Ku d'où la vue devait être jolie. Après quelques heures sur différentes pistes, j'ai fini par rebrousser chemin et me rendre au sommet du Phu Reua, où la visibilité était légèrement meilleure que la veille.
Même si j'aime marcher en forêt, la forêt du Phu Reua ne m'a pas beaucoup ému. Une grande partie du parc n'est en fait qu'une vulgaire plantation. Heureusement, il y avait les oiseaux. Près de la falaise de Ya Phai, des oiseaux aux allures d'hirondelles glissaient dans le ciel comme des rapaces, si rapides qu'ils faisaient siffler le vent! Lorsqu'ils passaient au-dessus de ma tête, le temps de lever les yeux ils avaient déjà disparu au loin.
Voilà des jours, depuis que j'ai quitté Nong Khai, que je vois et surtout entend des jeunes faire claquer des pétards quotidiennement, dans chaque village. À Dan Sai, j'ai élu domicile dans une sorte de motel dont les chambres donnaient sur un monastère. À l'encontre des traditions de calme et de méditation attendues de ce voisin, la cour du temple semblait très prisée pour faire exploser des pétards. Même les moines participaient au vacarme!
Jusque-là, j'avais crû naïvement à un jeu bêtement populaire dans ce coin de pays, alors qu'il s'agissait en fait de la célébration de la fin du carême bouddhique (période que les bonzes consacrent à l'étude et à la méditation), une fête importante dans tout le pays et culminant ce soir même, soir de pleine lune!
La pétarade s'intensifie à mesure que la journée passe. Vers 20 heures, une balade sur l'artère principale de Dan Sai est certainement nocive pour l'ouïe! À cette heure, le stock de pétards ne paraît pas en voie d'être épuisé, malgré trois heures de pétarade intensive.
C'est assez fou… À chaque maison brillent des dizaines de bougies, pendant que tout le monde est sur la rue à allumer ou faire claquer des pétards. Tous y participent, du nouveau-né au p'tit vieux! Les jeunes filles se bouchent les oreilles tandis que les garçons s'exaltent de joie devant les explosifs les plus sonores. Toutes les merveilles de la pyrotechnie se font entendre: petits pétards pétaradants, gros pétards bruyants, moyens pétards fumants, pétards sifflants. Des fusées inquiétantes sont allumées dans un tuyau court et décollent incontrôlables dans une direction quasi-aléatoire. Parfois, l'une va zigzaguer dans des fils électriques passant au-dessus de la rue, pour aussitôt s'en retourner plein gaz d'où elle vient, ce qui fait bien rigoler tout le monde…
« Amazing Thailand », comme ils disent par ici. J'ai mangé de la chenille!
Bien sûr, ce n'était pas mon idée. En route pour Lom Sak, je me suis arrêté à une sorte de restaurant où les hôtes m'ont offert cette délicatesse. Ils en avaient un grand plat déjà prêt à déguster! Lorsqu'on hésite à manger quelque chose, il suffit de se dire que si les Thaïs aiment ça, c'est que c'est bon!
Les petites chenilles blanches longues d'environ 3 cm étaient grillées juste à point, légèrement croustillantes, les plus dodues étant encore tendres à l'intérieur… Sans doute appuyé par l'assaisonnement, le petit goût salé n'était pas mauvais du tout!
Arrivé à Lom Sak, après avoir deux fois fait le tour de la ville à la recherche d'un logis pour la nuit sans trouver autre chose qu'un méga-hôtel-super-luxe, un gentil monsieur (à qui j'ai demandé de l'aide pour un hébergement moins dispendieux) m'a guidé jusqu'à la réception d'une sorte de motel vieillot bien caché sur une rue étroite, à l'ombre du méga-hôtel. La triste chambre n'avait vraiment rien pour donner envie de rester bien longtemps – contrairement à la réceptionniste… Quel large décolleté et quelle jupe courte! Il devait se passer des choses au-delà de l'hôtellerie dans cet établissement!
Même si Lom Sak ne m'a pas séduit au premier abord, le soir les principales artères étaient animées comme je les aime, bordées de vendeurs de bouffe de toute sorte. En guise de dessert, je me suis gavé de tokyo, sortes de crêpes minuscules qu'on enroule autour d'une substance gélatineuse sucrée, puis de beignets de farine frits accompagnés de lait de soya chaud. On s'inquiète guère de tout ce gras quand on fait du vélo à tous les jours! Quand je suis retourné au motel après ces dégustations, une autre réceptionniste de charme avait remplacé la première.
Après une courte sieste, je suis retourné me balader en ville. Près du marché, la foule s'était rassemblée pour assister à une projection de film en plein air, un film avec Jackie Chan doublé en thaï, l'un de ces films made in Hong Kong qu'on ne voit jamais en Amérique! Pendant un bon moment j'ai regardé le film, surtout que la partie intéressante des films de Jackie Chan est compréhensible peu importe la langue! Mais plus intéressante encore que le film était l'atmosphère, la foule captivée, le projectionniste installé à l'arrière de sa camionnette, le long délais à la fin de chaque bobine de pellicule poussiéreuse le temps d'installer la suivante. Les spectateurs des premières rangées étaient assis directement sur la rue, les suivants se tenaient debouts et les derniers restaient immobiles sur leurs vélos ou leurs motos. Le public était varié, avec quelques mémés parfois choquées par tant de violence à l'écran, et beaucoup de jeunes filles vraiment, ouf, très jolies!
Au retour du cinoche, les clients du motel étaient cette fois accueillis par les deux réceptionnistes sexy. L'heure de pointe, sans doute! Ce genre de service doit sûrement marcher très bien; le voyageur esseulé qui passe là est confronté à ces beautés sublimes à deux pas de sa chambre! Un coin de rue plus loin, il y avait aussi un bar à karaoké où on pouvait, par les grandes fenêtres, apercevoir des filles très légèrement vêtues chantant sur une scène. Les pauvres filles faisaient pitié à voir, costumées en véritables parodies de prostituées et maquillées de manière plus clownesque que séduisante.
Drôle de ville — un peu dévergondée, en fin de compte. D'ailleurs, chose plutôt rare en Thaïlande, il n'y avait aucun temple en vue près du centre de la ville, où j'ai néanmoins croisé des moines flânant à une heure assez tardive. Après le long carême bouddhique qui venait de se terminer, sans doute avaient-ils besoin de zieuter un peu la faune nocturne. De toute manière, j'ai pu comprendre depuis un moment que le moine n'est pas toujours la référence en matière de moralité. La vie monastique est une sorte d'excès qui, de toute évidence, ne convient pas à tous.
En route vers le parc national du Phu Hin Rong Kla, à mon premier arrêt ravitaillement, l'homme plein de bonnes intentions s'est mêlé de la pression de mes pneus. Malheureusement, avec sa pompe super-puissante il n'a pourtant réussi qu'à me dégonfler un pneu complètement! Comme si les pentes ne suffisaient pas à m'épuiser, j'ai dû le regonfler avec ma propre mini-pompe!
Nonobstant sa maladresse, l'homme avait eu un peu raison et j'ai repris mon chemin avec des pneus mieux gonflés.
La montée du Phu Hin Rong Kla, une montagne haute de 1365 mètres, fut une épreuve cycliste plus ardue que toutes mes précédentes. Le tronçon le plus abrupt, long de 13 km, paraît serpenter sans fin. Lacet après lacet, il reste toujours environ 10 km à faire tellement les kilomètres parcourus s'additionnent lentement! Cette montée, il faut être un peu fou pour la faire. Là, je n'en voulais plus aux passants de me fixer comme si j'étais un extra-terrestre!
Et puis il faisait une de ces chaleurs! Il manquait cruellement de coins ombragés où souffler un peu. En contrepartie, le ciel clair permettait de voir au loin, une motivation pour patiemment chercher à aller plus haut plutôt que d'abdiquer!
La forte inclinaison est également rude pour les moteurs à combustion. Les camionnettes n'arrivent à gravir la pente que très lentement, tandis que leurs tuyaux d'échappement laissent échapper les gaz les plus noirs et puants. Parfois, un conducteur doit s'y reprendre plusieurs fois pour franchir un lacet trop abrupt!
Toutes les informations touristiques suggèrent d'accéder le Phu Hin Rong Kla depuis Phitsanulok, mais c'est en l'accédant depuis Lom Sak qu'on jouit des plus beaux points de vue offerts par la montagne.
Les cyclistes un peu fous pourront choisir cette voie d'accès. Une fois le sommet franchi, la route descend pratiquement sur toute sa longueur jusqu'à Phitsanulok!
Malgré la présence de quelques villages à flanc de montagne, le trafic routier est très limité sur la route grimpant le Phu Hin Rong Kla. La plupart des véhicules sont des camionnettes qui montent à vide et redescendent chargées de récoltes maraîchères.
Vers 17 heures, j'ai presque atteint la cime du Phu Hin Rong Kla, après près de six heures de labeur — incluant les pauses à chaque lacet — pour gravir les derniers pauvres petits 13 kilomètres. Il était déjà tard mais il me restait encore 30 km à parcourir jusqu'au terrain de camping. En outre, la brume s'est levée, la température a rapidement baissé et la pluie s'est mise à tomber…
Il y avait un poste de garde juste avant le sommet de la montagne et les hommes eurent l'amabilité de m'accueillir dans leur demeure. Initialement, je devais camper tout près avec ma tente, mais quand la pluie s'est intensifiée ils m'ont ouvert la chambre d'un collègue temporairement absent. Fourbu comme je l'étais, le confort d'un lit fut fort apprécié!
Ce court séjour dans leur univers me procura un aperçu de la vie modeste de garde forestier en Thaïlande. La ville de Lom Sak n'est qu'à une quarantaine de kilomètres, mais paraît bien plus lointaine. Entre la guérite et la maison, près d'un ruisseau, un pavillon sert de cuisine en plein air, où on cuit les aliments sur un petit feu braisé de briquettes de charbon. Le soir, une génératrice alimente l'éclairage et, à l'occasion, une radio, mais on ne subit ni télé, ni karaoké! Dans la maison, chaque garde a une chambre étroite dont le lit occupe pratiquement tout l'espace. Quant à la douche, elle se prend à la thaïe, soit au seau d'eau, avec une eau très froide le matin!
Lors des longues heures passées dans la guérite, les hommes lisent, rigolent et maintiennent un contact radio avec le QG.
Avant de quitter le poste de garde et ses sympathiques gaillards, j'ai signé le livre d'or du parc. J'aime bien feuilleter ces registres et découvrir la provenance des visiteurs. Dans celui-ci, page après page, on n'apercevait que des noms thaïs. Aucun visiteur occidental n'était passé par là depuis des lunes.
La température matinale était de 17°C, certainement plus fraîche qu'au pied de la montagne. En Thaïlande et en cette période de l'année, c'est seulement en montagne qu'on peut mesurer des températures aussi basses.
Arrivé au sommet du Phu Hin Rong Kla, un regard en arrière: grosse étape enfin franchie! L'endroit offre guère de points de vue, car la jungle se presse de chaque côté de la route.
Le parc national du Phu Hin Rong Kla a ses merveilles naturelles, mais aussi ses curiosités historiques: sa jungle abritait jadis des rebelles communistes armées.
On peut notamment visiter un camp-école aux bâtiments rudimentaires et désagrégés par le climat humide. La vie de rebelle devait être bien difficile dans cette jungle, ne serait-ce qu'en raison des mouches très agaçantes…
Là étaient enseignées la doctrine communiste et la stratégie militaire. L'école a dispensé ses dernières leçons en 1982, après une douzaine d'années d'activités. Au plus fort de la révolte, alors que la région comptait jusqu'à 4000 rebelles, le camp disposait d'une trentaine de bâtiments, la plupart des dortoirs tous identiques, où vivaient une centaine de personnes. L'école bénéficiait de la présence de plusieurs intellectuels et universitaires thaïlandais, qui ont joint les rangs du parti communiste après de sanglantes manifs étudiantes à Bangkok en 1976.
Non loin du camp, on peut explorer des grottes et crevasses labyrinthiques où s'abritaient les rebelles lors de bombardements et tirs de mortier par l'armée thaïlandaise.
La montagne devenue parc national connait maintenant des jours plus paisibles, mais comme pour montrer que le gouvernement garde le contrôle, on y observe nombre de postes de garde, ainsi qu'une petite base militaire.
À peine quelques minutes après avoir installé ma tente-hamac sur le terrain de camping, un groupe de jeunes bruyants est venu s'installer tout près. Puis deux gais un peu trop insistants sont venus me harceler, au point où j'ai dû les engueuler fermement pour qu'ils me foutent la paix. Belle nuit en perspective… Le temps semblait vouloir se gâter et je me suis pris à souhaiter de la pluie, ce qui calmerait sans doute à la fois les jeunes bruyants et les gais trop collants…
Il y eût un peu de pluie lorsque vint le temps de dormir, mais à mesure qu'elle s'estompait le bruit provenant de mes voisins augmentait… La pluie arrêta complètement, l'alcool coula à flot et ils firent la fête toute la nuit durant, avec tout ce qui vient avec: guitares, chants, applaudissements, cris (parfois même appuyés par des porte-voix), balades à moto, vômissements. J'ai même entendu les deux gais en état d'ébriété avancé faire quelque allusion au farang alors qu'ils passaient tout près de ma tente, ce qui a gravement troublé mon sommeil… À 5h55, j'ai mis un terme définitif à mon sommeil intermittent. J'avais initialement prévu me lever vers cinq heures, mais ce plan avait supposé une vraie nuit de sommeil!
Honnêtement, pour qui veut communier avec la nature, il faut éviter la Thaïlande! Le Thaïlandais moyen est incapable de faire une activité autrement qu'en groupe (rarement moins de cinq personnes jasant sans répit) et ne va pas dans un parc national pour admirer la nature en paix, mais pour en rapporter quelques jolies photos de groupe et faire la fête. Il est bien difficile de trouver le silence dans ce pays! Même au coeur d'une réserve natuelle, s'il y a d'autres humains à proximité, il s'en trouvera un ayant apporté un système de son ou une machine à karaoké.
Les jours de semaine, on est parfois chanceux, comme je l'ai été au parc national du Phu Reua, mais les fins de semaines (surtout celles jointes à un jour férié), les parcs nationaux sont infréquentables pour qui cherche la tranquilité.
Pour les Thaïs, je ne suis pas tant un extra-terrestre parce que je voyage à vélo jusque sur une montagne, mais parce que je le fais en solitaire! Pour eux, la vie est sociale ou elle n'est pas. Et si seulement ils savaient à quel point, en forêt, je préfère être seul!
Au pied du Phu Hin Rong Kla, la température était nettement plus chaude. Un retour à la vraie Thaïlande, après un répit fort apprécié sous les 25°C!
En route pour Phitsanulok!