Comment sont les Terre-Neuviens? Comment est la mer en hiver? Serais-je dépaysé là-bas? Voilà quelques unes des questions, pourtant très simples, qui me poussèrent vers cette province méconnue du Canada.
Dans l'espoir de satisfaire ma curiosité, j'ai parcouru Terre-Neuve pendant deux petites semaines, un délai très court pour un si grand territoire. Heureusement, il s'agit justement d'un très beau territoire pour un road trip!
Avec seulement deux semaines devant soi pour voir l'immense Terre-Neuve, inutile de songer en plus à visiter le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse!
Cependant, n'ayant jamais visité le coin, je me demandais à quel point on parlait français dans l'officiellement bilingue province du Nouveau-Brunswick. Aux deux ou trois endroits où je me suis arrêté entre Edmundston et Fredericton, j'ai pu m'exprimer en français sans que cela pose un problème. J'ai même trouvé la région très similaire au Québec, bien que la signalisation routière bilingue m'ait semblée un peu lourde…
Dès Fredericton, par contre, je me suis senti moins à l'aise de poursuivre en français. Tout le monde autour parlait anglais, alors je les ai imités.
Ce matin là, j'étais déjà dépaysé. Pas si loin de mon coin de pays, mais dans un univers parallèle : celui des truckers. La route transcanadienne, par ici, est extrêmement fréquentée par les mastodontes de la route (les camions, pas leurs chauffeurs!).
Au déjeuner, dans un resto routier près de Beechwood, j'étais le seul touriste. Les autres clients étaient des camionneurs parlant fort dans l'accent typique des Maritimes. Mes œufs tournés contenaient un liquide jaune anormalement fluorescent. Les saucisses étaient bien grasses et juteuses.
Une tempête de neige a sévi durant toute ma traversée du Nouveau-Brunswick. La faible visibilité m'a empêché de voir quoi que ce soit du paysage, ce qui m'a libéré de l'autrement irrésistible tentation d'arrêter partout pour des photos.
Après la tempête de neige au Nouveau-Brunswick, ma traversée nocturne de la Nouvelle-Écosse fut marquée par une pluie incessante, puis un épais brouillard. Une conduite harassante au point d'en avoir mal aux poignets, à force de serrer le volant.
Au lever du soleil, après avoir passé la nuit dans l'auto, j'étais assez crevé. C'est que le motel que j'avais convoité à Port Hawkesbury était complet! Alors j'avais poursuivi jusqu'à Sydney puis, tant qu'à y être, jusqu'à North Sydney, d'où je devais prendre le traversier du matin pour Terre-Neuve. À mon arrivée à North Sydney, vers 2h, j'étais épuisé mais je m'étais dit qu'il ne valait plus la peine de prendre une chambre pour quatre ou cinq pauvres petites heures de sommeil… La température était légèrement supérieure à zéro, alors j'ai vaguement réussi à dormir, bercé par le martèlement de la pluie sur la carrosserie.
J'espérais que cette pluie soit neige à Terre-Neuve.
Ouais, c'est quand même trippant être en mer. La mer est un lieu de solitude, du moins quand on se trouve sur le pont du bateau en ce temps de l'année. Il n'y a que le bateau qui tangue doucement, le bruit des vagues qui se fracassent, le vent qui siffle… Si trippant et solitude peuvent aller de pair, c'est que j'aime contempler et sentir les éléments.
Après quelques heures de navigation, on se retrouve sur des eaux moins accueillantes. La pluie a cessé, mais il fait plus froid, le vent est plus puissant et des bancs de glace s'accrochent aux vagues.
L'expérience ne ressemble en rien à celle de prendre l'avion. On peut se promener, aller dehors, changer de place continuellement… Et ce navire est très vaste! Aussi, l'équipage est assez considérable — je me demande s'il y a autant de passagers qu'il y a de matelots pour cette traversée!
Le M.V. Caribou, plus achalandé l'été, peut recevoir 1 200 passagers et 350 voitures. Il transporte tout type de véhicule, même des camions-citernes. Et moi qui, juste avant l'embarquement, m'étais inquiété de la légitimité de mon petit bidon de carburant de camping! L'hiver, ce navire effectue l'unique liaison maritime régulière entre l'île de Terre-Neuve et le continent.
À l'intérieur, un charmeur, armé de sa guitare, a ciblé la plus jolie fille à bord, une asiatique solitaire. En quelques minutes, au moins six musiciens se sont ramassés là, chantant et jouant autour de celle qui se contentait d'observer silencieusement, bien qu'elle fut le pôle d'attraction. Toutefois, il faut l'avouer, ça chantait et jouait vraiment bien. L'un d'eux, musicien professionnel résidant à Halifax et, comme tous les autres, Terre-Neuvien expatrié, retournait dans son patelin de St. John's pour jouer quelques gigs dans des pubs.
Les Terre-Neuviens font connaissance spontanément et, entre eux, se découvrent toujours très rapidement des amis communs. Tous semblent aimer profondément leur île et ne résider sur le continent qu'à contrecœur!
Il arrive tout de même que le bateau ressemble à l'avion — pour la vue. Le brouillard laisse croire qu'on flotte sur des nuages.
Le M.V. Caribou possède une arcade, une cafétéria, un bar, une salle de cinéma, mais le lieux qui m'apparaît le plus divertissant, c'est toujours le pont. Bien sûr, il ne s'y passe pas grand chose, mais là se trouve l'intérêt, dans cette atmosphère si différente de la terre ferme.
Même s'il fait plutôt froid sur la mer, même s'il faut se cramponner pour tenir debout contre le vent, j'ai bien de la difficulté à comprendre ceux qui préfèrent rester collés à leur siège pendant toute la traversée. Sans doute sont-ils plus habitués que moi à ces traversées.
De l'autre côté du détroit de Cabot, c'est à Port-aux-Basques que se termine la traversée, soit à plus de 900 km de route de la capitale provinciale, St. John's. La liaison maritime directe sur St. John's, beaucoup plus longue, n'est effectuée qu'en saison estivale.
Le gîte que j'avais repéré pour une nuit à Port-aux-Basques était fermé pour rénovations… Je me suis rabattu sur l'Hotel Port aux Basques, un peu cher pour ce qu'on obtient — des murs en carton d'où on entend le voisin respirer, un matelas fatigué qui m'a donné l'impression d'avoir mieux dormi dans la voiture la veille. De quoi commencer à m'interroger sur la pertinence d'improviser les choix d'hébergement au fil du voyage!
Dans le sud-ouest de Terre-Neuve, on s'imagine facilement vivre à une autre époque. Les villages ne sont pas envahis par l'affichage sauvage. Je pense notamment à la rue principale de Port-aux-Basques, où les magasins sont très sobrement identifiés, et aux quelques commerces des petits villages, d'où il faut pratiquement être originaire pour savoir où les trouver!
On est encore à l'ère du magasin général et de la station service à une seule pompe, sans gros néons et sans pompe électronique à carte de crédit. Sur les routes, presque tout le monde a l'air de prendre ça relax. Dans les villages, les limites de vitesse paraissent parfois exagérément basses, mais aucun automobiliste ne semble tenté de les dépasser.
Que de beauté sur la côte sud-ouest de Terre-Neuve. Hélas, en février les journées sont encore courtes et on dispose de si peu de temps pour tout explorer!
J'ai bêtement empêtré l'auto dans un fossé glacé en voulant m'arrêter en bordure du chemin, le temps d'une photo près de Abraham's Cove… Pas de problème, les gens du coin sont toujours accueillants et prévenants! À peine ais-je eu le temps de sortir ma pelle qu'il y avait déjà quatre voitures arrêtées autour et six gaillards costauds pour pousser.
La péninsule de Port-au-Port est la principale région francophone de Terre-Neuve et elle semble très fière de sa culture.
Alors que j'étais encore arrêté pour des photos, un bonhomme jovial qui avait remarqué la plaque d'immatriculation québécoise de ma voiture s'est arrêté pour me piquer une jasette. Avec son accent acadien, il m'a parlé avec ravissement de ses voyages de jeunesse à Montréal vers 1950, alors que celle-ci était encore la métropole du Canada.
Au parc du Boutte du Cap, le temps d'un rapide lunch dans la voiture, je me suis décidé à affronter le vent et la poudrerie, sans trop savoir s'il fallait marcher longtemps pour voir quelque chose d'intéressant.
Il y avait plus de vent que ce que j'avais jamais pu expérimenter dans ma vie, mais la température n'était pas trop froide; probablement juste en deçà de zéro.
De la crète des hautes vagues s'échappaient des goutelettes d'eau qui, une fois emportées par le vent, se transformaient en petits flocons. Ceux-ci, poussés avec force vers la falaise, suivaient le vent ascendant contre la paroi, ce qui faisait neiger… d'en bas!
Les pénibles conditions de vent et de poudrerie au Boutte du Cap m'ont en quelque sorte privé de plusieurs photos. Sous de telles conditions, chaque geste était plus difficile. Changer d'objectif devient un défi, adopter une position stable devient impossible!
Après le dernier virage de la route liant Cap St-George et La Grand'Terre, la descente vers la mer turquoise léchant la terre blanchie par la neige fut saisissante.
À La Grand'Terre, ainsi que dans les villages avoisinants, tels que Trois Cailloux et Lourdes, la motoneige semble dominer les autres moyens de transport, et ça se comprend! Sur la route glacée, la motoneige est bien plus agile que l'automobile.
J'espérais me rendre à Corner Brook pour dormir cette nuit-là, mais je dûs rebrousser chemin. À cause de la neige et de la poudrerie, on ne voyait pas à 10 mètres sur la route…
Faute de dénicher un b&b si tard le soir, je pris un motel pas cher et vieillot à Stephenville. Le tapis faisait le tour du lit (sans doute par soucis d'économie), sous lequel traînait une vieille canette de bière… Je suppose que regarder sous le lit est souvent un bon moyen d'évaluer rapidement la qualité d'un hôtel. Mais peu importe; c'était seulement pour dormir et puis j'avais eu une grosse journée! Je m'endormis rapidement, accompagné par le sifflement du vent et par le son des motoneiges lointaines.
La route transcanadienne aurait fait une magnifique piste de motoneige! Hormis quelques courbes où du sable avait été répandu, elle était toute blanche. Impression de rouler sur des nuages… dans lesquels on aurait cependant planté bien des affreux panneaux publicitaires. D'abord rigoureusement espacés de 10 km, leur fréquence augmente à mesure qu'on approche de la prochaine ville. Restaurant X dans 25 kilomètres. Station-service Y dans 22 kilomètres. Hôtel Z dans dans 19 kilomètres… Malgré la féérie hivernale, aucun risque d'y perdre la notion des distances!
Finalement, j'ai parcouru un bon bout de chemin aujourd'hui, paradoxalement grâce à la très faible visibilité! Par endroits, ne voyant absolument rien du paysage, je n'ai eu d'autre choix que de continuer ma route plutôt que de m'arrêter pour des photos.
À ce jour, il a neigé quotidiennement depuis mon arrivée à Terre-Neuve. Mon souhait formé lors de la pluvieuse traversée de la Nouvelle-Écosse a été exaucé!
Entre Frenchman's Cove et Lark Harbour, par moments, la visibilité sous la tempête était nulle, vraiment nulle! Que du blanc! Une condition encore plus stressante quand on sait qu'une énorme charrue nous suit, non loin derrière, pour déneiger la route. Les conducteurs de ces monstres routiers semblent imperturbables, peu importent les conditions météorologiques.
Par deux fois, profitant d'accalmies, j'ai rebroussé chemin, espérant découvrir ce que j'avais pu avoir manqué plus tôt dans le blizzard. Mais à chaque fois ce fut en vain, car la tempête reprenait presque aussitôt.
Après avoir surmonté les conditions difficiles de la route entre Lark Harbour et Corner Brook, j'étais bien endurci pour la route transcanadienne. Le léger blizzard qui y sévissait était insignifiant à côté de ce que j'avais affronté plus tôt… Les autres automobilistes, moins exercés, semblaient gravement ralentis par cette légère poudrerie!
Les environs de Marble Mountain étaient spectaculaires, avec la rivière qui méandre entre les montagnes. Il m'a semblé y voir quelque vague ressemblance avec certains canyons de l'ouest américain, bien que la palette de couleurs fut très différente.
Je me suis rendu jusqu'à Rocky Harbour, où mon lit m'attendait au Wildflowers B&B, une vieille maison charmante et impeccablement entretenue. La veille, au motel minable de Stephenville, j'avais eu peur de toucher à quoi que ce soit, car tout semblait malpropre; mais ici, ma crainte était plutôt de tout salir! En plus de disposer d'une chambre très confortable, discuter avec les maîtres de la maison me permettait de rompre avec la solitude. Selon eux, il était inhabituel d'avoir autant de neige dans la région et les précipitations auraient particulièrement augmenté ces dernières années.
Le sentier de la Western Brook Pond n'était pas idéal pour la randonnée en raquettes car environ la moitié du parcours était sur terrain complètement dénudé et ouvert au grand vent, sans aucune accumulation de neige. Ainsi, les raquettes n'étaient utiles que pour l'autre moitié, où la neige pouvait se prendre dans les bosquets de tuckamores, ces petits sapins trapus caractéristiques des côtes de Terre-Neuve.
Le sentier était facile à suivre, même si officiellement fermé l'hiver. Malheureusement, on reste un peu sur notre faim, car il ne permet pas de s'approcher tellement du spectaculaire fjord de la Western Brook Pond.
J'ai vu bien des pistes d'animaux, surtout de lièvres et de renards. Hélas, je n'ai aperçu aucun animal, même si au retour je pouvais constater qu'un lièvre avait marché sur mes pas!
Contre toute attente, c'est à Broom Point que j'ai enfin vu un lièvre! Mais il fut trop rapide pour que je le photographie. J'ai aussi surpris un superbe pygargue à tête blanche alors qu'il bouffait les restes d'un oiseau mort (difficile à identifier, mais probablement une mouette). J'ai longuement fait le guêt, caché sous des arbres, mais l'aigle n'est pas revenu. Il ne restait déjà plus grand chose à manger, alors peut-être n'avait-il plus faim…
Le premier matin sans vent depuis le début de l'expédition. Le calme plat. La vue grandiose.
Une neige fantastique! De la belle poudreuse presque vierge; seules des pistes de lièvres la parcourait. À chaque pas, les raquettes s'enfoncent de 10 à 15 centimètres.
Évidemment, pas facile de trouver le chemin avec toute cette neige. J'ai silloné les environs dans toutes les directions, créant un labyrinthe de pistes qui allaient peut-être confondre d'éventuels randonneurs devant passer par là après moi… Ainsi, l'aller-retour aux chutes qui, comme le reste, étaient gelées et ensevelies sous la neige, a exigé plus du double des 30 minutes estimées, mais quelle agréable randonnée!
Avec toute la neige accumulée au sol, j'avais la tête dans les branches, elles aussi lourdes de neige. Les branches laissant souvent tomber leur chargement à mon passage, le capuchon fut indispensable!
Le beau temps m'a permis de prendre mon repas à l'extérieur, sur un belvédère situé à 6 km au nord-ouest de Wiltondale. J'ai eu les mains un peu gelées, mais la vue était superbe, avec d'un côté les montagnes Long Range et de l'autre la vallée qui annonce la Bonne Baie.
Tout près, deux hommes sont arrivés en pickup, ont déchargé leur motoneige (par ici, tous les camions transportent une motoneige) et sont partis avec un immense vilebrequin, vraisemblablement en direction d'un quelconque lac gelé, perdu au loin parmi les collines enneignées, dans lequel ils pourraient pêcher quelques poissons sous la glace.
Hélas, je ne me suis jamais rendu au sommet du sentier Lookout… Car à chaque fois que j'atteignais ce qui semblait d'abord être un sommet, il y en avait un autre qui apparaissait plus loin. Ça a continué ainsi jusqu'à ce que je me résigne à rebrousser chemin pour rentrer avant la tombée de la nuit. Malgré l'ascension incomplète, j'ai tout de même pu savourer de très beaux points de vue.
Après un copieux déjeuner aux bleuets au Berry Patch B&B, de Deer Lake (sans mentionner les confitures variées faites de baies locales), j'ai parcouru un très long bout de chemin jusqu'à New World Island.
La route m'a semblé très monotone entre Deer Lake et Grand Falls-Windsor, mais s'il y avait des points intéressants, le blizzard, encore une fois, ne me permettait pas vraiment de les voir. Un détour par King's Point et Rattling Brook, où un fjord devait s'offrir à mon regard, fut totalement vain puisque la visibilité y était nulle. Vers New World Island, toutefois, il y eut une accalmie.
Dans la région, même si plusieurs bâtiments traditionnels subsistent vaillamment, de nombreux villages sont constitués de bungalows et ont des airs de banlieue nord-américaine typique. Puisque l'architecture de bungalow ne m'a jamais particulièrement ému à ce jour, mon portrait photographique du patrimoine bâti ne reflètent peut-être pas la réalité de la région avec justesse.
On dirait que tout le monde désire avoir son petit bungalow recouvert de vinyle blanc. Parfois, même de vieux bâtiments sont ainsi revêtus, ce qui a pour effet de les défigurer complètement. Souvent, on peut apercevoir une vieille demeure abandonnée, avec tout à côté un "beau" bungalow blanc tout neuf.
Juste en haut de la côte voisine du Beach Rock B&B, un sentier pédestre facile à suivre (même l'hiver) mène à une petite arche naturelle. Compter environ une heure pour l'aller-retour.
L'un des aspects intéressant du Beach Rock B&B, hormis ses propriétaires très sympathiques, est que la demeure est respectée. Les propriétaires évitent les travaux qui pourraient défigurer la maison. Leurs ancêtres ont coupé, taillé, poli, cloué, peint chacune de ses planches, presque uniquement à l'aide des ressources alors disponibles sur l'île. Ailleurs sur l'île, il est triste de voir laissés à l'abandon plusieurs autres bâtiments ayant pourtant cette même richesse originale.
Dans un autre ordre d'idées, si on veut voir quelque chose d'intéressant sur South Twilingate Island, il ne faut surtout pas se contenter de la route 340, mais plutôt errer sur toutes les petites lane, drong, crescent, street ou road qu'on peut croiser, celles-ci menant à autant de petits recoins charmants.
Toutefois, en circulant dans les rues étroites parcourant les villages, il s'agit de prendre garde aux chiens qui se promènent un peu partout, car ceux-ci semblent bien peu méfiants à l'égard des voitures…
Non, il n'y a pas vraiment de cap à Cape Freels; c'est même très plat. À Cape Freels, et encore plus à Newtown, j'ai vraiment eu l'impression d'être dans des coins perdus du Labrador. Pas un son ou presque; un froid crispé, une motoneige lointaine, un enfant qui parle, des chiens qui aboient, le ciel dégagé et rosé par le soleil glissé sous l'horizon.
J'avais voulu me dépêcher pour arriver à Cape Freels avant le coucher du soleil, mais mon empressement à faire un "u-turn" m'avait envoyé dans un fossé dissimulé sous une couche de neige accumulée par le vent. Comme lors de l'incident semblable survenu quelques jours plus tôt, une petite armée de sympathiques sauveurs est apparue en moins de cinq minutes, mais ceux-ci en ont profité pour bien rigoler à mes dépens, surtout en regard de la très longue route droite et dégagée en bordure de laquelle j'avais enlisé la voiture…
À la tombée de la nuit, j'ai décidé de poursuivre jusqu'à St. John's, une bagatelle d'environ 400 km. En chemin, je me suis arrêté à Hare Bay, où ils vendent le Pepsi dans des bouteilles identiques aux bouteilles de bière.
À 40 km de St. John's, en pleine noirceur, un gros orignal a décidé de traverser la route devant mon bolide qui arrivait à 120 km/h. Heureusement que l'animal ne s'est pas immobilisé sur la route, car il aurait été difficile à éviter.
Quelques minutes plus tard, enfin arrivé à St. John's. L'odomètre indique déjà 3 620 km parcourus depuis mon départ de Québec.
Après tous ces villages de pêche perdus, leurs vieilles barques au repos et leurs cabanes croûlantes, l'environnement plus urbain de St. John's marque une certaine rupture. Belle occasion de rompre, le temps d'une journée, le tango route et photo en faveur d'une grasse matinée et de flânerie dans les cafés!
Mais en fin de journée, je n'ai tout de même pas pu m'empêcher une petite sortie photo autour de Signal Hill.
Outre son phare, Fort Amherst possède quelques bunkers intéressants datant de la Seconde Guerre mondiale, avec vue stratégique sur The Narrows, l'étroit chenal que doivent emprunter les navires avant d'amarrer au port de St. John's. Toutefois, le site n'est pas vraiment prévu pour les visites hivernales; les escaliers glacés sont de vrais casse-cou en l'absence de rampes.
À la lecture des commentaires des visiteurs dans le guest book de la Cabot Tower, j'ai pu apprendre que Signal Hill est souvent dans la brume. J'ai peut-être été très chanceux lors de ma visite, marquée d'un ciel parfaitement dégagé. Tout de même, j'aimerais bien voir aussi ce lieu unique enveloppé d'une légère brume!
Le vieux St. John's me fait penser à certaines rues de Québec, entre les quartiers Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste, pour ses petites maisons carrées à deux ou trois étages, ses rues étroites et parfois tourmentées, souvent liées par des escaliers, et ses points de vue occasionnels sur le port.
St. John's se targue d'être la plus vieille ville d'Amérique du Nord, mais puisqu'elle a été plusieurs fois rasée par des incendies (1819, 1846, 1892), on n'y trouve probablement pas beaucoup de bâtiments aussi anciens qu'à Québec, Montréal ou Boston. L'incendie de juillet 1892 fut particulièrement dévastateur, jetant plus de 12 000 personnes à la rue.
À l'occasion, le décor de St. John's peut même aller jusqu'à rappeler les vieux quartiers de San Francisco. Certaines rues, comme la partie est de la rue Gower, sont bordées de plusieurs maisons de style victorien, tandis que d'autres, telle la rue Holloway, n'ont rien à envier à San Francisco en ce qui a trait à leur inclinaison!
Sur la rue Barnes, on peut voir de typiques maisons colorées, avec en prime Signal Hill en arrière plan.
Pour l'hébergement, j'ai aimé tous les b&b essayés à Terre-Neuve, mais le Cantwell House B&B de St. John's fut mon préféré de tout le séjour. Située au coeur du quartier historique de St. John's, la très belle demeure offre une vue attrayante sur la ville et même sur Signal Hill. Et surtout, l'accueil est si sympathique et bon enfant qu'on s'y sent immédiatement à la maison!
Le soir, je suis allé au O'Reilly's, sur George St., un pub irlandais où jouait un talentueux groupe local de celtic-rock appelé The Fables. Une musique colorée où on ne peut s'empêcher de sourire et de taper du pied!
D'après des habitués de l'endroit, George St., une petite rue bordée presque uniquement de pubs, est vraiment quelque chose à voir l'été, alors que c'est encore plus vivant. Mais pour moi, hiver ou pas, les gens sont vraiment très chaleureux à St. John's et on ne s'y sent pas seul bien longtemps!
Cape Spear, l'endroit le plus oriental de l'Amérique du Nord.
… Et aussi le plus venteux? En tout cas, le jour de ma visite j'aurais été tenté de l'affirmer!
Près de La Manche, un village abandonné, se situe un tronçon fort agréable de la East Coast Trail, protégé du vent par une dense forêt de jeunes arbres. Un pont suspendu permet d'enjamber une belle rivière.
Sur la côte est de Terre-Neuve, le climat était beaucoup plus doux que sur la côte ouest de l'île, peut-être plus tempéré par l'Atlantique. Il y avait ici beaucoup moins de neige accumulée au sol.
On retrouve un peu de tout à Brigus : anciennes clôtures de pierres, vieux celliers, cabanes à pêche, petits lacs, collines rocheuses, quatre églises ou chapelles d'allégeances différentes et même une maison victorienne. Entre les maisons qui semblent avoir surgi là de manière tout à fait aléatoire, plusieurs petites rues étroites se faufilent.
Le tout semble bien hétéroclyte ainsi décrit, mais c'est pourtant très joli! Il fait bon d'y flâner un peu.
Dans une région si peu industrialisée, la puante raffinerie de pétrole de Arnold's Cove apparaît comme une aberration. Au coucher du soleil, le ciel s'est embrasé d'une couleur surnaturelle, comme pour souligner la toxicité du lieu.
5 103 km parcourus depuis mon départ de Québec deux semaines plus tôt, et me voici de retour à Port-aux-Basques pour le traversier du retour. Pour rentrer à la maison, il ne me restait plus qu'une petite croisière nocturne à bord du M.V. Caribou, puis quelques 1 500 km de route jusqu'à Montréal.