Après trois mois à respecter scrupuleusement les règles de confinement imposées face à la pandémie de COVID-19, il semble que je n'étais pas le seul en état d'urgence sanitaire personnelle, avec pour prescription une évasion immédiate (et enfin permise) de la ville. Les parcs nationaux et les réserves fauniques ont en effet reçu un déluge de réservations pour leur première fin de semaine d'ouverture des sites de camping. Habituellement, on ne s'y précipite pas si massivement si tôt en juin, période où les moustiques sont les plus sanguinaires. Alors faute de me trouver aussi une petite place en forêt pour la fin de semaine, je me suis libéré en semaine. Départ immédiat pour la Réserve faunique Mastigouche!
À lui seul, le plaisir de s'endormir avec le chant de la rainette crucifère méritait l'escapade hors de la ville!
Sur la route 11, je m'arrête au lac Jouet pour y jeter un œil rapide. En l'absence de vent, le lac est comme un miroir. Non loin, deux pêcheurs dans une barque mue silencieusement par un moteur électrique discutent tranquillement. L'un est emboucané, il fume la pipe et l'odeur du tabac arrive même à me taquiner les narines. Je ne m'attends à rien de plus et m'apprête à retourner à la voiture quand un huard d'une taille impressionnante émerge de l'eau, à moins de 10 mètres. Nous nous examinons longuement sans bouger, lui avec son oeil rouge, moi avec mes yeux écarquillés, avant qu'il ne décide de replonger. Les pêcheurs : « Beau spectacle à matin, hein? ». Ça oui!
L'appareil photo est dans la voiture, mais cette image, je ne suis pas près de l'oublier.
Les deux arrêts suivants sont au lac Vaseux et au lac du Pimbina. Appareil photo en main — on ne fait pas la même erreur deux fois — j'aperçois là aussi des huards, mais à chaque fois ils sont très distants.
Le lac Shawinigan se déverse dans le petit lac Shawinigan par un canal peu profond et sablonneux, qu'une passerelle flottante permet de traverser. Au bout de la passerelle débutent les sentiers Roland-Leclerc, qui va vers l'est, et le sentier Vianney-Guillemette, qui va dans la direction opposée. Les deux font partie du Sentier national au Québec, qui court sur plus de 1 600 km à travers 9 régions administratives.
Je ne suis toutefois pas venu pour la longue randonnée. Mon plan de la journée est modeste : marcher environ 7,5 km sur le sentier Roland-Leclerc, puis revenir sur mes pas.
La forêt est d'un vert tendre tel qu'on ne peut le contempler qu'au printemps. Voilà qui ressemble drôlement au remède qu'il me fallait. Posologie : absorber sans modération!
Volant d'un arbre à l'autre en quelques battements d'ailes et prenant le temps de pousser quelques-uns de ses cris aigus à chaque escale, cette petite buse semble protéger son territoire puisqu'elle patrouille constamment le même périmètre. Nous sommes en plein dans la période de nidification; des oisillons viennent peut-être d'éclore dans un nid tout près. Un peu plus loin, de grands corbeaux crient aussi. Ils doivent savoir, pour les oisillons. J'espère ne pas trop distraire la buse dans son vital tour de garde.
Après une marche aller-retour d'une quinzaine de kilomètres sur le sentier Roland-Leclerc, je profite de l'agréable berge du lac Shawinigan pour manger une collation et paresser. Une bonne brise chasse complètement les moustiques; il s'agit d'en profiter!
Érigés il y a plus d'un siècle, à l'époque des clubs de pêche privés, des chalets de bois rond occupent un terrain idéal entre le lac Shawinigan et le petit lac Shawinigan. Le gouvernement du Québec en a fait l'acquisition au courant des années 1970, alors qu'il cherchait à démocratiser l'accès aux activités de chasse et de pêche.
L'itinéraire de la seconde journée de randonnée forme un chapelet de lacs : lac à la Couleuvre, lac de la Bernache, lac des Iroquois, lac Bouché, lac des Guêpes, lac à la Vase, puis retour au lac à la Couleuvre en passant par l'accueil Pins-Rouges. Le tracé du sentier apparaît sur la carte générale de la réserve faunique. Il n'y est désigné par aucun nom, mais à partir du lac Bouché il rejoint le sentier Vianney-Guillemette puis enchaîne avec le sentier Saint-Bernard, par lequel on complète la boucle.
On apprécie encore plus le spectacle du sabot de la vierge quand on sait qu'après l'apparition de ses premières feuilles, cette plante met encore au moins 10 années avant de faire éclore sa première fleur!
Les quatre feuilles les plus pâles du quatre-temps deviendront bientôt blanches et ressembleront aux pétales d'une fleur plus grande. L'effet fonctionnera auprès des insectes pollinisateurs, mais en réalité la plante n'a pas une fleur unique, mais des dizaines de fleurs minuscules en son centre.
À partir du lac de la Bernache, le sentier est beaucoup moins bien balisé. Il continue d'emprunter essentiellement d'anciens chemins forestiers. Il y a plusieurs embranchements non identifiés où il s'agit de choisir systématiquement la voie la moins envahie par la végétation, bien qu'il ne soit pas toujours facile de les départager! Ce sentier paraît bien peu fréquenté.
Si les visiteurs s'y font rares, c'est sans doute qu'on n'y trouve aucun point de vue spectaculaire. Mêmes les lacs sont difficilement accessibles, avec leurs berges broussailleuses. Tout ce qu'un randonneur peut trouver ici, c'est la nature tranquille, qui essaie de faire sa petite affaire entre deux coupes forestières.
J'ai dû être inattentif à l'un des multiples embranchements du sentier, car je me suis retrouvé au lac à la Vase, par un chemin de VTT bien entretenu, plutôt qu'au lac Bouché. N'ayant pas très envie de revenir sur mes pas et d'ajouter un kilomètre à la distance de la journée, j'ai décidé de poursuivre dans cette direction jusqu'à une autre jonction avec le sentier Vianney-Guillemette, quitte à rater le lac Bouché et le lac des Guêpes — une décision vaguement confortée par leurs toponymes pas si invitants!
Mission accomplie, guérison complète!